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Psaume de la pénitence), et de l’abattement presque désespéré, Lou Roucas de Sisife (le Rocher de Sisyphe), c’est à la conception d’une union des provinces latines et peut-être des pays latins que se hausse l’esprit particulariste de Mistral. « Relève-toi, race latine — sous la chape du soleil. — Le raisin brun bout dans la cuve ; — le vin de Dieu giclera bientôt. » Mais il y a, encore ici, beaucoup de rêverie, et d’optimisme à courte vue : « paysans, comme on vous nomme, — vous resterez maîtres du pays. — Environnés de l’amplitude — et du silence des guérets, — tout en faisant votre battue[1], — à la terre toujours ancrés, — vous voyez, au loin, comme une tempête — passer la pompe des empires — et l’éclair des révolutions ; — pendus aux mamelles de la patrie — vous verrez passer les barbaries — et aussi les civilisations. » Nous avons, depuis ce temps-là, entendu un autre son de cloche : « les paysans s’en vont, et la terre se meurt. »


II

Un symbolisme, plus littéraire que poétique, et qui semble apporter à nos oreilles, parfois, des échos de cénacle au lieu d’un bruit de source vive, fut l’écueil, où vint se heurter, sans s’y briser assurément, mais non pas sans être attardé et entravé d’abord dans sa marche vers le succès, le poème à demi réaliste, à demi fantastique de Calendau. Ce n’était plus cette idylle chez les pasteurs, qu’un artifice légitime de vrai poète avait rendue inséparable de la nature méridionale, où elle s’était déroulée. Ce n’était plus ce tendre et tragique roman d’amour, qui, sous les ombrages du mas provençal, ou à travers la plaine de la Camargue embrasée de soleil, ou dans la fraîche obscurité du sanctuaire des Maries de la Mer, demeurait émouvant et vrai, au point de colorer de vérité et d’émotion les proverbes de laboureurs, les devis de veillée, les contes du vagabond, les chansons populaires, les paysages familiers, les visions mystérieuses, tout l’apport de ce folk-lore aralétan, aixois, avignonnais, dont le poète avait rempli, enrichi son premier ouvrage. C’était bien plus, ou bien moins, cette fois : c’était un sujet d’imagination.

  1. La battue est une demi-journée de travail aux champs.