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LA POÉSIE DE MISTRAL

« Quand l’heure du déclin est arrivée pour l’astre, — sur les terres envahies par le soir, les pâtres — mettent au large leurs agneaux, leurs brebis et leurs chiens, — et sur les bas-fonds marécageux — tout ce qui grouille râle la clameur unanime : — Ce soleil était assommant[1]. » Cette rumeur envieuse et hostile, qui s’éleva sur les traces de Lamartine, lorsque, vieillissant et « portant sa croix, » il gravit « son calvaire, » Mistral ne l’a point entendue autour de sa personne, autour de ses moindres écrits. Jusqu’à son dernier jour, jusqu’à ses paroles dernières, le chantre de Mireille, de Calendal, des Iles d’or, de Nerte, de la Reine Jeanne, du Poème du Rhône, et encore des Olivades, a été honoré, choyé, glorifié, comme le fut bien rarement un être d’exception. Il a vu, de ses yeux, sur une place du pays natal, se dresser sa statue, aux applaudissemens des lettrés de la capitale, aux acclamations des laboureurs provençaux. De son vivant, et jusque dans la mort, il n’y a pas une forme d’hommage public qu’il n’ait reçue avec aisance, avec simplicité, ou qu’il n’ait écartée avec élégance et noblesse.

Le mouvement de réaction, s’il ne s’est pas manifesté déjà, va se produire. Rappelons-nous avec quel ton d’irrévérence ou de méchante humeur on parlait de Victor Hugo, lorsque l’éclat trop fulgurant de ce soleil se fut éteint. L’enthousiasme, à son endroit, fut, pendant dix années au moins, démodé jusqu’au ridicule. Après quelques oscillations dans un sens et dans

  1. Frederi Mistral, Lis Isclo d’or, Soulomi sus la mort de Lamartine.