Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 21.djvu/365

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

adoration survécut au départ de Mme de Staël. Les archives de Coppet contiennent un assez volumineux dossier de lettres de Mlle de Gœckhausen. On y trouve, répétées à chaque ligne, toutes les expressions de la tendresse la plus vive auxquelles viennent s’ajouter les formes un peu déclamatoires du temps et de la sensibilité allemande : « Mon adorable aimée, » « Ma divine amie, » sont les expressions dont se sert habituellement la bonne vieille demoiselle. Quand, au bout de trois ans, cette correspondance prit fin par la mort de Mlle de Gœckhausen, Mme de Staël en éprouva un vif chagrin. « Ses lettres me faisaient toujours plaisir, écrivait-elle à la duchesse Louise. Enfin, elle ne m’avait jamais causé de peine. On n’en peut pas dire autant des premières affections. » Dans ces lettres, le nom de Goethe revient quelquefois. Au retour d’un cours de philosophie et de littérature dont il a « régalé » la duchesse Louise et qu’elle a « écouté de toutes ses oreilles, » Mlle de Gœckhausen ajoute : « Ah ! comme vous dites vrai, il est unique. Quelle profondeur ! Quelle clarté ! Voilà un natur philosoph que j’aime. Il vous aime beaucoup et vous admire bien au-delà de ce que je pourrais dire. » Une autre lettre est plus piquante. Elle est datée du mois de juin 1804, c’est-à-dire de quelques mois après le départ de Mme de Staël de Weimar :

Hier au soir le jardin réunissait ma bonne duchesse, MM.  Goethe, Voss, et votre humble servante. À haute voix, Goethe nous porta votre santé dans le noble vin de Champagne. Ce que je vous rapporte n’est pas précisément un événement très remarquable, mais votre souvenir fut si doux, mêlé à cette belle soirée, qu’il me semble le revivre en vous écrivant.

Gœthe évoquant le nom de Mme de Staël, par une belle soirée d’été, et buvant à sa santé « dans le noble vin de Champagne, » n’est-ce pas un trait qui traduit mieux le souvenir qu’il avait conservé d’elle que quelques phrases malicieusement choisies dans sa correspondance ?

Haussonville.