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À ces lettres où l’amour filial de Mme de Staël s’épanchait en termes si touchans et si passionnés, M. Necker répondait comme à son ordinaire par des lettres tendres, judicieuses, sereines. Il continuait d’admirer le Premier Consul et louait Mme de Staël de ne pas laisser non plus porter atteinte à son admiration par « les piqûres d’épingle dont elle était l’objet. » Après avoir parlé avec quelque dédain du ministère anglais qui avait succédé à celui de Pitt, il ajoutait : « Il n’est pas de force pour la circonstance, mais quel gouvernement, à parcourir toute l’Europe, est de force assez pour lutter contre le Consul qui réunit en lui toutes les facultés. » Il s’était procuré une bonne carte d’Allemagne, et, le compas à la main, il mesurait chaque jour le chemin que sa fille parcourait. « J’éprouve, lui écrivait-il, que cette manière calme un peu mon imagination. » Parfois cependant la mélancolie l’envahissait. « Ah ! que c’est loin, Weimar et toute cette Allemagne, s’écriait-il, dans une de ses lettres. Ah ! dis-lui vite, je te prie, que tu désires de joindre à l’honneur de la connaître le bonheur de la quitter. » Mais le plus souvent, au contraire, il fortifiait sa fille contre les reproches qu’elle s’adressait à elle-même et la rassurait sur sa santé. C’est ainsi qu’il lui écrivait :

Ma pauvre Minette, toutes tes questions sur ma santé me font craindre que tu ne suives pas ton projet avec repos d’esprit. Rapporte-t’en, je te prie, à l’encouragement que je t’ai donné et, si cela ne te suffit pas, rapporte-t’en à l’opinion générale qui approuve ton voyage. Tu éprouves, ma chère amie, de grandes contrariétés, mais il te viendra de meilleurs momens, comme il en vient à tout le monde. J’y réfléchis beaucoup et, quoique j’aie aussi mes écarts d’imagination, je me sens encore en entier pour tout ce qui tient à toi.

Son amour-propre paternel jouissait de la réception faite à sa fille. Le 17 janvier 1804 il lui écrivait :

Je suis dans l’enchantement de l’accueil qu’on te fait. Il faut qu’il soit complet à en juger (deux mots sans doute oubliés) qui sont l’exacte représentation de ta pensée. Mais combien de détails me sont nécessaires pour jouir sans rabais de ce qu’on fait pour toi. J’ai bien embouché la trompette sur ta réception et chacun le redit dans la ville.

Mme de Staël quittait Weimar le 1er mars. Elle laissait de vifs regrets dans la famille ducale où elle avait contracté une amitié qui devait durer autant que sa vie. Les lettres échangées