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que nos autres cavaliers. Il a d’ailleurs ouvert tous les tiroirs de son intellect… Ses pieds sont aussi agiles que sa langue ; elle danse la Pericotine (?) et saute la Polonaise à la française que c’est un plaisir de la voir. Elle a laissé le vieux Reuss à moitié mort hier après la Polonaise. Aujourd’hui elle déclamera chez la duchesse Louise. Elle joue du piano et a une voix puissante, mais je ne l’ai jamais entendue… Elle a en elle un esprit multiforme. Dieu sait combien d’individualités ont péri pour la façonner à sa naissance et dans quelle foule d’êtres ces esprits devront rentrer quand ils seront mis en liberté par sa fin. Au surplus, elle me paraît ouverte, pleine de bonhomie et prompte à la confiance[1].

Avec la duchesse Amélie, les relations de Mme de Staël furent moins intimes qu’avec la duchesse Louise. Il est assez surprenant que, dans l’Allemagne, elle n’ait point parlé de cette princesse, qui fut cependant une personne de haute valeur morale et intellectuelle. Tandis que les archives de Coppet contiennent de nombreuses lettres de la duchesse Louise, je n’en ai trouvé que deux de la duchesse Amélie. L’une, datée du 19 février 1804, est assez bizarre. Herder, qui était le pasteur de la Cour, et avec qui la duchesse Amélie était liée d’une étroite amitié, était mort la veille de l’arrivée de Mme de Staël à Weimar, c’est-à-dire le 12 décembre. Le 13 février, la duchesse Amélie ne lui en écrivait pas moins :

Vous, Madame, qui savez si bien apprécier le beau, je pense que vous ne serez pas fâchée de faire avec mon ami Herder une petite promenade qui vous conduira à sa hauteur où vous vous retrouverez vous-même. Les belles âmes se rencontrent et laissons aller les Schelling et les Fichte avec leurs sentiers tortueux.

La seconde lettre est quelque peu postérieure au séjour de Mme de Staël à Weimar, et répond à une lettre que celle-ci lui avait adressée de Berlin :

Nous nous trouvons bien flattés, lui écrit la duchesse Amélie, de voir que votre cœur vous parle encore pour nous et que nous pourrons nous livrer avec d’autant plus de sûreté à l’espérance de vous revoir chez nous. En mon particulier, je ne saurais vous dire combien je me trouve heureuse d’avoir la perspective de pouvoir vous répéter mille fois les tendres sentimens que je vous porte et dont je ne prétends pas cependant me faire un titre auprès de vous, puisque je les partage avec tous ceux qui vous connaissent[2].

  1. Duentzer, Charlotte de Stein. Stuttgard, t. II, p. 192.
  2. L’original de cette lettre est dans les Archives de Coppet. Elle a été publiée in extenso dans la Vie de la grande-duchesse Louise, p. 266.