Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 21.djvu/335

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Le 4 juillet ; à six heures du matin, nous embarquons.

Lentement le Manji s’éloigne de la côte et de l’Océan. Un dernier regard sur cette mer, dont bien loin les flots baignent les rivages de la France, et derrière un tournant l’Atlantique disparaît.

Le Manji presse sa marche, il se dirige vers la trouée que le Niari s’est ouverte à travers la forêt du Mayombe. Les rives de la lagune se rapprochent ; de chaque côté, les berges sont voilées par le lacis que tendent devant elles les palétuviers. Arbre étrange qui semble être planté sur pilotis, pousse seulement en eau saumâtre, dans les estuaires des fleuves, et ne se propage que dans les parties inondées à marée haute, découvertes à marée basse. Arbre étrange surtout par la façon dont il se reproduit. S’il laissait tomber sa graine, celle-ci serait entraînée par les eaux, l’espèce serait perdue. La nature, guidée par la nécessité de la conservation, a paré à ce danger. La graine ne tombe pas de l’arbre, elle germe sur la branche et produit une longue liane souple qui descend vers le sol. Au moment où celle-ci arrive au niveau des hautes eaux, elle se divise en trois ou quatre rameaux qui, aux basses eaux, piquent dans la vase. Dès que ces derniers ont pris racine, le palétuvier, rassuré sur le sort de son rejeton, l’abandonne à lui-même ; la liane se détache et devient le tronc d’un nouvel arbre. Enfin, le palétuvier a encore d’autres particularités ; il est le plus lourd et le plus dur de tous les bois ; comme il est imputrescible, les insectes et les autres agens de destruction ont renoncé à s’attaquer à lui.

Bientôt l’inextricable fouillis de troncs, de branches, de lianes, se raréfie, puis disparaît, nous entrons dans le Niari.

Les arbres montent et descendent pêle-mêle le long des flancs du Mayombé, le massif montagneux que traverse la rivière ; ils frissonnent dans le vent et dans la lumière ; ils se dressent de chaque côté, comme une falaise de verdure ; parfois la tête d’un rocher en émerge ; çà et là, des trous d’ombre la crèvent, ouvertures de cavernes, dans lesquelles l’esprit devine toute une nature vierge.

Derrière la muraille festonnée de lianes qui se relèvent en draperies, pendent en stalactites, et se frangent de graminées