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pont, nous douche au passage, et emporte le panneau qui ferme la chambré des machines. Les mécaniciens sortent une tête effarée. Fondère se précipite sur eux et les renvoie à leur levier de manœuvre. D’ailleurs, nous sommes passés. Le chaland bondit à son tour et fond sur nous comme un bolide ; nous larguons son amarre pour ne pas être écrasés par lui, et nous entrons dans la lagune sans autre incident.

Cette barre n’est pas toujours bonne. Il y a deux ans, elle a englouti la plupart des pièces du Léon-de-Poumayrac, l’un des deux vapeurs envoyés pour le Haut-Oubangui. L’autre vapeur, le Jacques-d’Uzès, a été débarqué à Loango, mais il n’a pas eu plus de chance que son frère, car ses morceaux gisent épars le long de la route de Brazzaville, notamment dans la forêt du Mayombe. Des deux, c’est encore le premier qui a eu le sort le plus logique pour un bateau.


Fondère a besoin d’un jour pour rassembler les équipes de pagayeurs qu’il mettra à ma disposition, et faire exécuter une réparation au vapeur, le Manji, qui nous conduira à Kakamoéka, au pied des rapides.

J’habite avec Castellani une maison de bois entre la mer et la lagune. Assis sous la vérandah, nous attendons le moment de rejoindre Fondère qui nous a invités à dîner. Moussa, mon fidèle cuisinier, accroupi sur le sable, extrait les chiques de ses pieds.

Castellani le regarde et me dit : — Sait-il où nous allons ?

— Sûrement non. J’ignore même comment il a pu apprendre à Dakar ma présence à bord du paquebot, car on a peu parlé de l’organisation de notre mission. Toujours est-il qu’il se trouvait sur le quai, guettant mon arrivée, supposant que cette fois encore, la troisième, je l’emmènerais. Il n’a pas demandé où nous allions, il est monté sur le bateau, comme à Paris nous prendrions un tramway. Que lui importe le but et la durée d’une expédition ? La distance ne l’effraie pas, le temps n’a pas de valeur pour lui. Insouciant, il a traîné ses pas au bord du Sénégal et du Niger, sur les rives du Bandama ; bientôt, il les fera résonner le long du Congo, de l’Oubangui et du Nil. Après avoir vu le soleil se lever sur des forêts, sur des marécages, il