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principe, puisqu’ils ont de leur côté le monopole du recrutement des porteurs.

Le Congo serait donc l’unique contrée de l’Afrique où les populations n’éprouveraient pas le désir de gagner des perles ou des étoffes en fournissant des porteurs ? Il faut croire pourtant qu’elles ne sont pas insensibles à l’appât des richesses puisqu’elles pillent les convois pour se les procurer. Le jour où elles verront les tirailleurs occuper le pays, et où elles n’auront plus d’autre moyen que le travail pour acquérir ce qu’elles convoitent, elles consentiront à porter.

Persuadé de l’exactitude de ce dernier raisonnement, je me suis mis en route vers le Niari ; je parviendrai bien à me tirer des rapides et à faire mentir les funèbres pronostics qui accompagnent mon départ.

Sur le Fiote ont pris passage, avec moi, M. Fondère qui tient à me faire passer lui-même la barre du Niari, et M. Castellani. M. Castellani est un peintre très connu comme panoramiste, attaché à la mission à titre de dessinateur de l’Illustration. Il est arrivé à Loango le 24 juin, en même temps que le capitaine Germain, et s’est décidé à me suivre, séduit par les jouissances artistiques que lui offrira ce voyage.

Un gros chaland est à la remorque du Fiote, il renferme les 800 charges que je vais essayer de ne pas noyer dans les rapides.

De Loango au Niari, le trajet n’est pas long ; nous sommes partis depuis une heure et demie, et déjà nous apercevons l’embouchure de la rivière, qui ne se jette pas directement dans l’Océan, mais dans une lagune, comme presque toutes les rivières de la côte congolaise. Au milieu de la bande de sable qui sépare la lagune de la mer, s’ouvre un passage dans lequel les eaux du Niari heurtent la grande houle, qui éternellement bat les rivages occidentaux de l’Afrique et dont le choc contre le courant produit la barre, le mascaret classique existant souvent en Europe.

Quelques toits de cases apparaissent sur la plage et à l’intérieur de la lagune, nous approchons. Nous virons et mettons le cap sur la terre. « Attention ! crie M. Fondère ; tenez-vous bien. » Un commandement dans le porte-voix : « A toute vitesse ; » et presque aussitôt un énorme mascaret nous enlève. Mais le chaland, qui se trouve trop, loin pour être soulevé en