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s’acharnent-ils à railler et malmener les plus fidèles serviteurs du génie grec et latin, les pieux et patiens philologues ? Nous savons que les œuvres antiques ne nous ont pas été transmises sans altération. Les copistes, — fainéantise, ignorance ou maudite vanité, — suppriment des vers entiers, changent des mots et même, pris d’une émulation dérisoire, collaborent avec le poète, le corrigent et lui font cadeau de leurs idées. Il importe d’écarter ces misères et de découvrir, sous les fautes des copistes, le texte véritable. C’est le travail des philologues : aventureux travail, et opiniâtre, et qui demande une dextérité merveilleuse, un tact infini, travail de l’imagination que guide l’amour de la vérité. Enfans d’Esculape et industrieux guérisseurs, les philologues : ils ont inventé une thérapeutique pour les poèmes malades et les discours égrotans. Puis, à cause de leur zèle et de leur assiduité quasi religieuse, je les compare aussi à des prêtres. La statue d’Athéna ou celle de Minerve leur a été apportée fruste ; ils ont à la nettoyer, à la délivrer de cette rouille qui atteint l’épiderme de la pierre et qui en ronge peu à peu la substance vive. Le plus gros, on l’a vite enlevé ; mais comme les doigts tremblent, quand ils vont toucher au sourire de la déesse ! À considérer les dégâts qu’ont faits le temps et les barbares, l’on s’afflige : et, sur les blessures de la déesse, on répand l’huile des bonnes conjectures. Il manque des morceaux à la divine statue : et l’on risquera des réparations. Je me souviens de philologues singuliers et admirables, uniquement dévoués à leur lâche modeste. L’univers, autrement, n’existait pas pour eux. Ils avaient l’humilité de qui estime son œuvre plus que soi, mais l’orgueil de qui ne saurait concevoir une œuvre plus auguste. Et, entre les philologues, je me souviens du grand Édouard Tournier, si touchant et plaisant, bizarre et occupé des plus vénérables manies. Sa mémoire serait bien digne d’une vie des saints, amicalement composée : on l’y verrait plus enfermé dans ses doctes soucis que nul reclus dans la cellule d’un couvent, plus solitaire, plus penché sur la lettre, gaine de l’esprit, et parfois, aux momens de relâche, fumant une pipe de tabac ou, sur le piano, divertissant ses minutieuses fatigues.

Louons M. Courbaud, qui respecte les philologues. Il tient compte de leurs recherches et, à vingt reprises, dans son Horace, il mentionne les Ribbeck, Wieland, Meineke, Lehrs et Müller. Il indique leurs propositions, les analyse, les apprécie. Son livre, nous l’avouerons, en est un peu encombré : par instans, les petits poèmes d’Horace disparaissent sous la foison des argumens philologiques. Relisons les