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leurs déceptions ; il glorifiait de sa renommée leur modestie. Ses préceptes ne les accablaient pas ; ses aveux leur étaient une excuse ; et le menu libertinage de sa pensée, qui éveillait leurs souvenirs, les leur ennoblissait de latin. Ce temps est passé ; la petite bourgeoisie néglige maintenant les humanités : Horace ne lui est plus un autre Béranger.

Mais un éminent professeur de la Sorbonne, M. Edmond Courbaud, vient de publier un Horace. Or, on dit et l’on répète que, férue de superstition pour la philologie, la Sorbonne dédaigne la littérature et, attentive aux seules besognes de la critique verbale, ne cède plus aux charmes de la poésie. Voyons le livre de M. Courbaud. C'est un in-12, de quatre cents pages, ou peu s'en faut. Horace est le titre. Et, le sous-titre : « Sa vie et sa pensée à l'époque des épîtres. » Second sous-titre : « Étude sur le premier livre. » Ainsi se restreint le sujet. M. Courbaud, qui a examiné toute l'œuvre d'Horace, borne néanmoins son étude aux vingt petits poèmes qui composent le premier livre des épîtres. Chacun de ces poèmes a de quinze à cent onze vers : le commentaire dépasse de beaucoup le texte. M. Courbaud n'est pas exactement bavard ; mais il est extrêmement méticuleux : et « peut-on jamais avoir tout dit ? » se demande-t-il. En 1864, Sainte-Beuve écrivait : « Ne subtilisons pas sur nos grands auteurs ; n'imitons pas les érudits qui dissèquent à satiété les odes d'Horace et qui disent : ceci est plaqué et ceci ne l'est pas. Qu'en savent-ils ? Les plus fins sont conduits plus loin qu'ils ne le veulent et ne savent plus où s'arrêter… » Sainte-Beuve admonestait ainsi (à propos de notes sur Corneille) Édouard Fournier, dit le furet des grands écrivains. Il ajoutait : « Pourquoi remettre éternellement en question ce qui est décidé ? Pourquoi venir infirmer, même en des matières légères, ce qui est appuyé suffisamment et ce qui est mieux ? Assez d'autres soins nous appellent. » D'autres soins : et telle était la curiosité de Sainte-Beuve ; il n'aimait point à s'arrêter longtemps sur un objet ; viite il se sauvait ailleurs, pour attraper des anecdotes, des faits inédits, voire des potins. M. Courbaud ne se dépêche pas ; et il a raison, si la méditation lente lui réussit. Pourtant, la remarque de Sainte-Beuve lui serait adressée sans trop d'injustice. Entre ces vingt épîtres d'Horace, si prestement écrites, si aisées, rapides, et un formidable commentaire, il y a le plus fâcheux manque de proportion : les petits poèmes sont opprimés. M. Courbaud répond : « Dans les questions littéraires, il faut éviter, avec tout le soin dont on est capable, la littérature au mauvais sens du mot, les considérations vagues qui se tiennent au-