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au même individu. En Roumanie, la loi ne s’oppose pas encore à la pulvérisation de la propriété. On a songé à écarter ce péril en rétablissant un régime qui existait jadis, celui du minorât : en vertu d’une vieille coutume roumaine, c’était le cadet de la famille qui conservait le domaine paternel. Il continuait d’y vivre avec sa mère, tandis que les aines cherchaient fortune au dehors.

Malgré les efforts du législateur, beaucoup d’anciens serfs, bien que libérés, restaient dans la dépendance des seigneurs, et en vinrent à regretter le régime sous lequel ils n’étaient pas propriétaires, mais exerçaient sur la terre une sorte de droit de jouissance permanente, moyennant partage des produits. Cette organisation résultait de longues traditions de vie pastorale, qui n’impliquait ni partage des terres, ni division de la richesse entre les membres d’une même famille ou d’une tribu. Un demi-siècle n’a pas suffi à en chasser le souvenir de l’âme du paysan roumain ; en 1907, il s’est révolté brusquement contre un état de choses qu’il comprenait mal et qui lui semblait contraire à tout l’héritage des pensées ancestrales. Comme l’a fait observer un homme d’Etat aux vues profondes, la loi de 1864 avait bien libéré les serfs, mais elle avait du même coup affranchi les propriétaires des obligations qu’une tradition, non contestée, leur imposait vis-à-vis de ceux qui vivaient sur leurs terres. Quoi qu’il en soit, la sédition fut terrible. La répression fut impitoyable : mais elle était nécessaire. La discipline de l’armée roumaine fut mise à une cruelle épreuve, dont elle sortit à son honneur. Pas un soldat ne refusa de marcher, — et pourtant, dans bien des cas, il lui fallut tirer sur des frères, sur de proches parens.

Aussitôt l’ordre rétabli, le gouvernement ordonna une enquête, qui porta sur environ 40 pour 100 des contrats agricoles dans différentes régions du pays ; elle avait, entre autres objets, celui d’indiquer les prix du travail et de mettre en lumière les clauses de ces contrats agricoles, souvent très onéreuses pour les paysans. La loi du 23 décembre 1907, qu’un auteur a qualifiée d’une des plus audacieuses et étranges qu’ait vues le monde moderne, a cherché à remédier à ces maux. Désormais le fermage ne peut plus être payé qu’en argent ou en dîme prélevée exclusivement sur la récolte : les propriétaires ou fermiers ne pourront plus empêcher le paysan de faire celle-ci