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Que résulte-t-il du rapprochement des faits et des dates ? D’abord, que le sentiment du Pape sur la Constitution civile a été net et nettement exprimé dès le premier jour. En second lieu, que ce sentiment ne paraît pas avoir été tellement influencé par l’affaire d’Avignon, puisque le Pape évite de rompre au lieu d’en chercher l’occasion au moment où Avignon semble perdu pour lui, et qu’il rompt, au contraire au moment où il obtenait gain de cause de ce côté, rupture qui devait amener et amena la perte, — définitive cette fois, — de cette vieille possession du Saint-Siège.

Quant aux considérations humaines et politiques pour lesquelles le Pape a tardé près d’un an à prononcer publiquement le non possumus qui était dans son cœur et dans son esprit dès le mois de mars 1790, celles qui ont été données ont une part de vrai. Mais il est une raison qui a joué un rôle plus direct que toutes les autres, et sans laquelle toutes les autres auraient fait sur le Pape beaucoup moins d’effet. C’est l’attitude du cardinal de Bernis, notre ambassadeur à Rome. Bernis y représentait la France depuis vingt ans. L’ancien protégé de Mme de Pompadour était devenu, avec l’âge et les grandeurs, très hostile à l’esprit du siècle, auquel il n’avait pas été sans faire quelques concessions, sinon quelques avances, à l’époque où il tournait pour les dames des vers badins et correspondait avec Voltaire. M. Frédéric Masson résume en un trait heureux ses idées à la date où nous sommes : c’était « un prêtre qui croyait au droit des nobles et un noble qui croyait au droit des prêtres. » Ses dépêchés le montrent très préoccupé de son rang, de son archevêché d’Albi, de ses revenus de gros prébendier, toutes choses que la Révolution était en train de lui enlever. On lui demandait de prodiguer ses efforts auprès du Pape pour faire accepter la Constitution civile, alors qu’il la jugeait lui-même inacceptable. Il n’est pas étonnant que ses efforts n’aient pas été couronnés de succès. D’ailleurs, il se considérait comme quelque chose de plus qu’un simple porte-parole de son gouvernement. Il se croyait et se disait « la seconde personne de Rome, » faisait sonner très haut son privilège de voir familièrement le Pape et de traiter directement avec lui sans passer par le cardinal secrétaire d’État, et ne suivait les instructions de son ministre que dans la mesure où elles cadraient avec son propre sentiment. Sa manière de presser le Pape n’avait rien de pressant. « J’attends pour lui