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ou de récupérer Avignon. Ce ne serait pas le seul cas où la qualité de souverain temporel aurait paralysé chez le chef de l’Eglise l’action du souverain spirituel. M. Sciout, qui regrette l’attitude du Pape comme ayant eu « pour la religion des conséquences déplorables, » l’explique par une paternelle condescendance à l’égard « des appréhensions et des supplications de Louis XVI (Histoire de la Constitution civile du clergé). » Enfin M. Edmond de Pressensé (l’Église et la Révolution française) suppose que le Pape avait besoin de ce délai pour agir sur l’épiscopat français et le disposer à la résistance.

Il peut y avoir dans toutes ces appréciations un peu de vérité, ou tout au moins de vraisemblance ; mais avant d’essayer de la dégager, une question préjudicielle se pose. Est-il vrai que le Pape ait attendu si longtemps pour faire connaître son avis ? Les dates parlent d’elles-mêmes. Dès le 29 mars 1790, le Pape a protesté contre les innovations religieuses en France, mais en consistoire secret. Passons. La Constitution civile ne fut complètement votée que le 12 juillet. Or, deux jours avant, le Pape mettait déjà le Roi en garde contre le danger qui résulterait de sa mise en vigueur. Sa lettre n’arriva à Paris que le 23, et l’assentiment du Roi avait été annoncé à l’Assemblée la veille, mais ce n’est pas la faute du Pape s’il se trouve sitôt en face du fait accompli. Nous avons le devoir, disait au Roi le pontife, « de vous déclarer et de vous dénoncer de la manière la plus expresse que, si vous approuvez les décrets relatifs au clergé, vous entraînez par là même votre nation entière dans l’erreur, le royaume dans le schisme… »

Cette lettre fut communiquée au Conseil et le Pape demandait même qu’elle le fût. « Votre Majesté, y était-il dit, a dans son Conseil deux archevêques ; l’un (Pompignan, archevêque de Vienne, ministre de la Feuille), pendant tout le cours de son épiscopat, a défendu la religion contre les attaques de l’incrédulité ; l’autre (Cicé, archevêque de Bordeaux, garde des Sceaux), possède une connaissance approfondie du dogme et de la discipline… Consultez-les. »

Fut-elle communiquée à d’autres ? Fut-elle communiquée même à Boisgelin et à ceux dont les archevêques de Bordeaux et de Vienne demandèrent le concours pour y répondre ? II est permis d’en douter. Plus tard, dans leur réponse au bref du Pape du 10 mars 1791 condamnant la Constitution civile, les