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vigoureux et puissant où toutes les silhouettes qui passaient prenaient un relief singulier ; la Commission devait donc se surveiller elle-même et cette préoccupation lui causait un embarras qui a été plus d’une fois très sensible. Quant à M. Jaurès, il ne lui déplaisait pas de voir s’étaler au grand jour les vices, les tares, de ce qu’il appelle la société bourgeoise et capitaliste, afin de pouvoir affirmer que toutes ces infirmités morales disparaîtraient comme par enchantement le jour où le prolétariat jeune et sain aurait remplacé la bourgeoisie vieillie et corrompue et où le capital, appartenant à tout le monde, ne ferait plus faire des péchés d’envie à personne. Aussi M. Jaurès, dans la rédaction qu’il a proposé à la Commission d’approuver, a-t-il été plus sévère qu’elle n’a consenti à l’être contre les deux ministres compromis. Alors, très digne, il a donné sa démission de président. On a couru après lui, il s’est laissé atteindre, on a parlé, parlementé et tout s’est arrangé, comme il était d’ailleurs facile de le prévoir. Bref, la Commission est laborieusement accouchée d’une phrase où elle a constaté que « l’intervention de M. Monis a été pressante, » et que « parlant avec son autorité de chef du gouvernement, elle a été déterminante... » En fin de compte, la démarche de M. Caillaux et l’intervention de M. Monis ont été qualifiées de « déplorable abus d’influence. » Et c’est tout.

En vérité, ce n’est pas assez, l’opinion attendait autre chose. La Commission l’a senti sans doute, car, après avoir porté ce pâle jugement sur M. Monis et sur M. Caillaux, elle a cru devoir s’élever à des considérations générales : « Si fâcheuse, a-t-elle dit, que soit en elle-même cette affaire, elle est surtout grave comme symptôme ; elle révèle un mal qui s’est manifesté d’ailleurs par bien d’autres signes et qui, si le pays ne réagit pas, ira se développant et s’approfondissant dans tout le système politique et social. Elle atteste chez les gouvernans eux-mêmes le fléchissement du sens de la règle, le dédain des procédures normales et de l’indépendance de magistrats d’ailleurs trop dociles. Elle révèle l’influence démesurée de la finance, même la plus basse, la confusion de la finance, de la presse et du pouvoir. » La confusion de la plus basse finance et du pouvoir ne saurait en effet trop être condamnée, — et il faut remarquer en passant que plus la finance est basse, plus elle est portée à corrompre ; la haute finance a une autre tenue et d’autres procédés, — mais les hommes au pouvoir qui aident à cette confusion méritent plus qu’un blâme platonique et on n’a pas tout fait quand on a dit que leur action a été « déplorable. » L’opinion publique appelait des sanctions ; la Commission n’en a pas