Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/935

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au troisième acte, les événemens se précipitent : Georges doit partir le soir même avec Martigny et les deux cent mille francs. Comment s’est-il procuré ces deux cent mille francs ? Voici. Son père les lui ayant catégoriquement refusés, c’est sa mère qui les lui a donnés. Elle avait en dépôt cette somme que son mari lui avait confiée pour payer une échéance. Elle a fait ce léger virement. Que ne ferait-on pas pour un fils ? Et comme elle est pleine de tendresse pour ce fils et craint pour sa santé là-bas, s’il n’a les soins d’une femme : « Allons, dit-elle, mademoiselle Henriette, partez avec lui ! On vous mariera au retour. » C’est une mère que les préjugés n’embarrassent pas. Cependant M. Derembourg s’affale sur un fauteuil, et, la tête dans ses mains, sanglote...

D’un bout à l’autre de la pièce, le père nous est présenté comme un tyran domestique. Il sacrifie à ses calculs égoïstes les inclinations de son fils. Autoritaire, sec, cassant, il est parfaitement odieux. Inversement, on désigne à toutes nos sympathies le jeune homme qui est bien libre, n’est-ce pas ? d’arranger sa vie comme il l’entend, la mère dont le cœur comprend le cœur de son fils, mais surtout Mlle Henriette, si noble, si courageuse, si digne, si bien faite pour honorer la famille où elle entrera... Allons donc ! Georges, qui s’est laisser fiancer et plante là une jeune fille, se conduit comme un pleutre et comme un goujat qu’il est. Il a voulu être médecin ; il veut maintenant être colon ; tout le monde, à vingt ans, a passé par une série de vocations qui n’étaient que des velléités : l’essentiel est de tirer le meilleur parti possible des conditions où la destinée vous a placé : fils de tapissier, quand on n’est pas sûr d’être Molière, on n’en meurt pas pour rester tapissier. Mme Derembourg vole deux cent mille francs à son mari pour les donner à son fils : c’est le vol domestique, que les tribunaux ne poursuivent pas, mais qui est quand même un vol. Mlle Henriette, qui se sait aimée de Georges, le fuit, tout en restant là, et plie, mais ne rompt pas : ce n’est pas la manière d’une brave fille vraiment décidée à ne pas accepter un mariage qui serait de sa part une indélicatesse. Tout ce monde-là commet de très vilaines actions qu’il décore de grands mots. Et toutes ces tirades, nous les avons si souvent entendues ! soit que le fils d’honorables commerçans projetât d’épouser sa petite amie, soit qu’un gentilhomme eût résolu de se mésallier avec la lectrice de sa mère. Car ce que nous reprochons au dialogue de M. Devore, c’est moins d’être boursouflé que d’être poncif, oh ! combien !

Mlle Cécile Sorel a joué avec beaucoup de tact, de délicatesse et d’émotion le rôle de la mère. M. Raphaël Duflos, dans le rôle du père.