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Faischamel lui eut donné sa parole d’honneur que le Roi n’était point blessé, il s’écria : « Je meurs, tant pis pour moi, pourvu que le Roi soit sauvé ! Ma personne c’est bien peu de chose ! »

Le général Heymès, un des aides de camp du Roi, après avoir eu le nez traversé par une balle, au lieu de songer à sa blessure, s’est empressé de transmettre à un de ses camarades les ordres qu’il avait reçus du Roi ; il lui remit aussi quelques pétitions que le Roi lui avait données à garder et, de plus, il fit le compte de la somme d’argent qu’il avait eue pour les distributions qui se font dans ces occasions : tout cela avant de se faire panser.

La maréchale Maison, chez laquelle j’ai été ce matin pour lui faire mes condoléances sur la perte de son parent, le comte de Villate, aide de camp du maréchal, tué dans cette épouvantable affaire, m’a dit qu’on ne pouvait se figurer la scène émouvante qui a eu lieu chez le garde des Sceaux, à la place Vendôme, où la Reine, les princesses, les femmes des ministres et maréchaux se réunissent ordinairement pour assister au défilé des troupes, lorsque la nouvelle de l’attentat leur est parvenue.

« Jamais, me disait la maréchale, nous n’avions vu la Reine, Madame Adélaïde et les princesses dans un état aussi affreux. Sa Majesté jetait des cris désespérés :

« Nous sommes entourées d’assassins, disait-elle, quel horrible peuple, quel affreux pays ! Ils m’ont tué mon mari, mes enfans, les infâmes, les monstres ! » M. Persil avait beau répéter à la Reine que le Roi et ses fils étaient sains et saufs, rien ne pouvait la persuader, rien ne pouvait la consoler, elle pleurait, elle se désolait : « Le Roi est mort ou grièvement blessé, vous voulez me le cacher, mais le crime est accompli, j’en vois l’aveu sur toutes ces figures qui m’entourent, qui me regardent avec pitié ; de la pitié pour une Reine ! en avez-vous, après avoir assassiné mon mari ? »

« La figure de la Reine, continua-t-elle, avait une expression de dureté telle que Mme Thiers, qui se trouvait à côté de moi, me dit : « Est-ce là la Reine ? cette femme si douce, si résignée autrefois ? » Effectivement, la figure de la Reine était rouge comme la tenture de ce salon, l’indignation s’y exprimait avec le désespoir, c’était une autre personne, l’état dans lequel elle se trouvait me fit peur. M. Persil demanda à Sa Majesté si elle ne désirait pas qu’on fit à l’instant même jouer le télégraphe