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à son esprit. La princesse Marie a été éloquente, elle témoigne d’une vivacité touchante en flétrissant la lâcheté de ces assassins, le crime dont le nommé Gérard s’est rendu coupable et en remerciant la divine Providence qui a miraculeusement conservé le Roi et ses fils et ses frères. La princesse Clémentine ne parlait que des victimes et de la douleur déchirante de leur famille. Le Duc d’Orléans nous a raconté les faits avec une clarté, une justesse d’expression et une grâce qui lui sont toutes particulières. Il a montré dans cette occasion un sang-froid admirable, une présence d’esprit incomparable et un dévouement filial et chevaleresque en même temps.

Malgré les assurances du préfet de police et de M. Thiers que rien n’arriverait de fâcheux pendant la revue, le Prince royal, tourmenté par un pressentiment vague, s’était concerté à toute éventualité avec ses frères ; ils avaient décidé qu’en cas d’accident, ils avanceraient autour du Roi afin de le couvrir de leur corps. Le Duc d’Orléans fut le premier à apercevoir la fumée qui partait de la machine infernale et, dans le même moment, l’effroyable détonation se fit entendre ; mais aussitôt lui et ses frères, selon la résolution qu’ils avaient prise, se trouvèrent autour du Roi et l’embrassèrent et le touchèrent par tout le corps comme pour s’assurer qu’il n’était pas blessé et en même temps pour le garantir contre la seconde décharge que tout le monde attendait.

La scène est impossible à décrire : tant de personnes tuées et blessées sur un aussi petit espace, au milieu d’une grande ville, au milieu d’une fête, en plein jour ; un maréchal expirant aux pieds du Roi, des généraux, des colonels, des militaires de tous rangs, des gardes nationaux, des femmes, des enfans, des paisibles citoyens tués ou blessés, et tout ce monde baigné dans son sang, gisant par terre, pêle-mêle avec des chevaux.

M. Strada père, premier écuyer, m’a dit qu’ayant mis pied à terre pour s’approcher du Roi dont il voyait le cheval blessé, il marchait dans le sang jusqu’aux chevilles. Le Duc d’Orléans m’a raconté que le colonel Raffet, commandant la légion de gendarmerie de la Seine, se sentant mortellement blessé, avait mis la main sur sa plaie pour empêcher le sang de couler ; puis il alla donner des ordres à sa légion, après quoi il est tombé de cheval : il est mort peu d’heures après. La seule chose dont il paraissait préoccupé, c’était la vie du Roi ; lorsque le colonel