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existe une âme si fougueuse, si terrible dans ses emportemens. Je parlai ensuite avec M. Berryer des dangers de la Presse et de l’impossibilité de gouverner avec elle. Il me donna raison.

— Mais, je ne m’en plains pas, poursuivit-il, j’en use tous les jours comme du plus sûr moyen de miner le gouvernement de Juillet.

— Il y a des personnes qui prétendent que l’influence des journaux est moins grande aujourd’hui, repris-je ; cela est peut-être vrai ; mais dans les provinces, elle fait croire tout ce qu’elle veut.

— Vous avez raison, comte, me concéda Berryer.


13 mai. — Il faut avoir été présent comme moi à ces séances de la Cour des pairs, il faut avoir vu cette insolence systématique des accusés, il faut avoir entendu leurs menaces et avoir vu les gestes qui les accompagnèrent, il faut avoir saisi enfin l’expression de leurs figures, la hardiesse de leurs regards et l’impression de terreur et d’indignation qu’ils ont produite sur les spectateurs, pour comprendre combien M. de Broglie s’est trompé dans ses prévisions lorsqu’il nous disait que l’aspect seul de cette salle, de cette réunion des pairs du royaume, de tant de têtes vénérables, de tant de haut dignitaires, de tant de réputations de l’Empire, en imposerait à ces gens-là ! Comme si quelque chose pouvait en imposer à des gens qui ont tant de fois affronté la mort, qui presque tous n’ont rien à perdre, et dont le seul but est d’insulter, d’avilir l’aristocratie, de traîner le pouvoir dans la boue, de fouler aux pieds tous les souvenirs, de conspuer, d’humilier la Pairie, de faire enfin tout le scandale possible, ne fût-ce que pour se venger de ne pas avoir pu réussir à détruire l’état actuel des choses en France.

Lagrange, parmi les Lyonnais, et Baune [1] parmi les Parisiens, sont ceux qui parlent au nom de tous et à la suite desquels tous les autres se mettent à brailler comme des forcenés. Cavaignac n’a pas la voix assez forte pour se faire entendre dans ce vacarme : c’est Baune qu’il a chargé d’exprimer ses

  1. Révolutionnaires ardens, ainsi que le prouve leur participation aux agitations et aux complots qui ont troublé le pays de 1830 à 1832, Lagrange et Baune se firent remarquer pendant le procès d’avril par la violence de leur attitude. Condamnés, le premier à vingt ans de détention, le second à la déportation, ils bénéficièrent de l’amnistie de 1839, siégèrent, après 1848, à la Constituante et à la Législative et furent proscrits après le coup d’État de Décembre.