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Tout étranger doit être, sans doute, frappé de la conversation des princesses, mais surtout de l’indépendance avec laquelle elles s’expriment sur toute espèce de sujet. Les dames d’honneur ne se gênent pas non plus pour donner la preuve de la leur. La dame d’honneur de la princesse m’exposa le plan d’éducation qu’elle a suivi avec son élève ; elle ne me cacha point que Mme de Malet, gouvernante de la princesse Louise, n’avait pas suivi le même système et qu’elle croyait devoir le regretter. La princesse Louise n’a pas tout à fait la tenue qu’elle devrait avoir dans le monde.

— Je voudrais lui voir plus de dignité et, ce que je désapprouve entièrement, c’est le goût qu’elle a de se promener en public, sur les boulevards ou aux Tuileries, à des heures où tout Paris est dans les rues. C’est une chose que je n’ai jamais permise à la princesse Clémentine et, aujourd’hui que je dois me soumettre à ses ordres, je tremble chaque fois qu’elle m’invite à l’accompagner au dehors, et cependant c’est toujours de sept à neuf heures du matin où on est à peu près sûr de ne pas rencontrer des personnes qui vous reconnaissent.

— Mme la Duchesse de Berry, interrompis-je, aimait aussi à se promener. J’ai eu l’avantage de la rencontrer bien des fois et, qui plus est, elle me faisait même l’honneur de m’adresser la parole, ce qui m’embarrassait assez, puisque je ne pouvais lui parler à découvert pour ne pas trahir son incognito.

— Vous le voyez, comte, c’est encore un inconvénient ; c’est certainement le moindre de tous, mais c’en est un. Si elle avait rencontré une personne qui aurait eu moins de tact que vous, cela aurait suffi, peut-être, pour l’exposer aux insultes d’un malveillant. Dans un cas où deux partis opposés sont constamment en présence, les princes y sont toujours exposés lorsqu’ils se trouvent dans la foule. Au surplus, vous avez vu comment la Duchesse de Berry a fini : si j’avais fait une semblable éducation, j’en mourrais de chagrin. Le Roi, qui est si populaire et qui aimait tant à se promener à pied dans les rues de Paris, ne le fait plus. Le bas peuple, tous les polissons de la rue le suivraient. Est-il digne d’un roi d’avoir un semblable cortège ? Ce n’est pas comme vous, à Vienne, où l’Empereur peut se promener au milieu de ses bons et fidèles sujets ; il n’y a pas eu de révolution chez vous, il n’y a pas de liberté de la Presse, il n’y a point de tribunes et, surtout, il n’y a pas à Vienne comme à Paris de ces