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10 avril. — Après l’audience du prince Schönburg, chargé d’une mission toute confidentielle [1], sans lettre de créance quelconque et par conséquent sans qualité précise, soit de ministre plénipotentiaire, soit d’ambassadeur extraordinaire, mais ayant pour objet de remettre une lettre de la part de S. M. l’empereur Ferdinand à S. M. le roi des Français ; après l’audience Schönburg donc, nous avons eu la nôtre dans laquelle l’Ambassadeur a remis ses nouvelles lettres de créance entre les mains de Louis-Philippe. Les deux audiences se passèrent sans la moindre cérémonie, la première parce qu’elle a été toute confidentielle, la seconde parce qu’elle a été considérée non pas comme accordée à un ambassadeur nouvellement arrivé, mais plutôt comme une continuation, ce qui a été réellement le cas et d’autant plus que, même d’après les règles de l’étiquette, l’Ambassadeur ne se trouvait privé de son caractère représentatif que pendant l’intervalle qui s’est passé entre l’audience du prince Schönburg et la sienne.

Quelques jours après, le Roi invita le prince Schönburg à dîner, ainsi que l’Ambassadeur et toute son ambassade, de plus Rodolphe II, Jules et les comtes Thun et Teleki, seuls Autrichiens en ce moment à Paris. J’’ai fait les excuses des Thun qui ont quitté Paris pour se rendre à Nice où les attendaient leurs parens. Je me suis trouvé à table entre la maréchale de Lobau et la dame d’honneur de la princesse Clémentine, à laquelle j’ai donné le bras.

La princesse Clémentine a dix-huit ans ; elle a été élevée par sa dame d’honneur d’aujourd’hui. Elle est distinguée au plus haut degré, jolie sans être belle, gracieuse et surtout très instruite. Sa sœur, la princesse Marie, a peut-être un esprit plus original, une conversation plus piquante et des talens plus brillans, mais la princesse Clémentine a plus de douceur et par conséquent plus de charme. Le prince Schönburg a été tout étonné de la justesse et du choix des expressions si élégantes dont se sert cette princesse pour exprimer sa pensée ; il a été frappé surtout de sa connaissance de ce qui se passe dans le monde politique. Elle lui a parlé de la proposition de lord John Russell et du plan d’attaque suivi par le parti whig contre les Torys et de la loi d’appropriation.

  1. L’empereur d’Autriche François II venait de mourir et son fils Ferdinand Ier, qui lui succédait, avait écrit au roi des Français pour lui faire part de son avènement ; le prince Schönburg était chargé de remettre sa lettre au destinataire.