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état ! Une grande table de douze couverts, disproportionnée à l’exiguïté de la pièce, portait sur elle tous les vestiges d’un banquet somptueux et tapageur. La porcelaine, les bouteilles, tout était brisé ; la nappe se ressentait des gelées fondues et des bouteilles de vin de Bordeaux cassées ; nous marchions sur les décombres de tout ce qui avait garni la table et, jusqu’aux carreaux de la croisée, tout était débris dans la chambre.

Pendant qu’on s’occupait à dresser le couvert pour servir le déjeuner dont nous avions grand besoin, nous parcourions toute cette maison envahie par tous les mauvais sujets de Paris, mais de la classe de la société la plus riche et la plus élevée. Ils y étaient établis avec leurs maîtresses ou avec des filles qu’ils avaient ramassées Dieu sait où ! ils ne s’en cachaient pas, car, quoiqu’en costume plus ou moins élégant, ils n’avaient pas cru nécessaire de mettre un faux nez sur leur figure. J’y rencontrai grand nombre de jeunes gens de ma connaissance, mais ils ne me reconnaissaient pas et je feignis de ne pas les voir. Le catéchisme poissard et le Vadéana étaient la langue qu’ils parlaient, accompagnée de gestes des plus éloquens qu’on se faisait des combles, des balcons, des croisées au jardin ou dans la rue et vice versa. Hommes et femmes avaient déjà tant crié pendant toute la longue nuit, et la veille peut-être, qu’ils n’en pouvaient plus. Pourtant ils criaient toujours en se balançant sur les balustrades ; ils s’embrassaient sans se cacher, tirant orgueil d’être impudiques devant la foule.

La descente de la Courtille était, en ce moment, dans son brillant, avec ses innombrables masques, ses deux mille voitures à la file, ses cent et cent mille spectateurs qui regardaient ébahis et rieurs. Le cortège de lord Seymour, qui est ordinairement ce qu’il y a de plus magnifique, l’était encore cette fois. Il en tombait des dragées, des fleurs, des bonbons, des phrases ordurières toujours très applaudies.

Il était près de midi lorsque je me suis retrouvé dans ma chambre. Après ma toilette, je suis descendu chez l’Ambassadrice qui m’apprit la triste nouvelle de la maladie grave de l’Empereur, mais, en même temps, le bulletin du lendemain disant qu’après la saignée, notre chérissime Empereur a passé une bonne nuit et que tout danger parait être passé. Quel bonheur !