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Belleville. Au boulevard du Temple, nous rencontrâmes des chars à bancs à quatre et à six chevaux remplis de masques. Un petit orchestre au milieu d’eux accompagnait les chants, des porteurs de torches éclairaient ces saturnales.

Nous étions encore loin de la barrière de Belleville, à l’entrée de la rue du faubourg du Temple, et déjà la foule était si grande qu’il nous fallut prendre par de petites rues pour gagner la barrière de la Chopinette et arriver par là au Grand Saint-Martin et à l’Ile d’Amour à Belleville.

Hors la barrière de Belleville, se trouve un rond-point d’où partent plusieurs avenues et rues, entre autres une bien large, celle de Belleville. Elle se compose de deux rangées de cabarets grands ou petits. Obligés, tant la circulation était difficile, de laisser là nos voitures, nous eûmes toutes les peines du monde à atteindre la merveilleuse Ile d’Amour et le Grand Saint-Martin. Il faisait déjà grand jour et nos énormes nez, tous gros et marbrés de bleu, de rouge et de vert, nous faisaient horreur. Cependant, ils nous garantissaient fort agréablement contre l’air frais du matin, de même nos favoris et nos moustaches nous servaient de véritables mentonnières ; il n’y a que les pieds que nous ne pûmes, malgré nos grosses bottes, garantir contre l’humidité, car il faisait une boue affreuse et, pour avancer, nous étions obligés de marcher dans le ruisseau : dans le milieu de la rue, nous aurions risqué d’être écrasés.

Arrivés non sans peine à l’Ile d’Amour, nous fûmes témoins d’un combat assez sérieux engagé entre lord Seymour, qui s’y était retranché avec sa bruyante compagnie, et la populace offensée de je ne sais trop quoi. De la rue, on y lançait des pierres qui brisaient tous les carreaux ; de leur côté, les assiégés lançaient sur les assiégeans des carafes, des assiettes et des meubles brisés. Le combat allait devenir fort dangereux pour tous ceux qui se trouvaient avec lord Seymour dans le cabaret, lorsque heureusement les gendarmes mirent fin à tout ce désordre.

Nous jugeâmes prudent de ne pas entrer dans l’Ile d’Amour qui venait d’être envahie par la populace et dont le siège ne prit fin que grâce à la garde municipale. Nous passâmes donc outre et entrâmes au Grand-Saint-Martin. Toutes les croisées de cette vaste maison à trois étages étaient ouvertes ; des masques de tout genre, de toutes couleurs, étaient assis ou debout sur ces