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Le matin même de ce jour, Konigsmarck reçoit un billet pressant de la princesse lui donnant rendez-vous le soir au château. Quel événement, quel péril motivent cet appel si dangereux ? Surpris, mais sans hésitation, » le Chevalier » s’y rend.

Cette entrevue, la dernière, ce n’était pas l’amour, mais la haine qui l’avait préparée !

Quand, tard dans la nuit, Konigsmarck, quittant la princesse, traversa l’antichambre en fredonnant, — sans doute l’air des Folies d’Espagne, — quatre trabans postés par la favorite lui barrèrent le chemin. Une lutte courte et désespérée, un dernier outrage de la Platen à sa victime, un dernier cri de l’amant : « La princesse est innocente, sauvez la princesse ! » Telle fut la fin de Konigsmarck.

Le drame est tenu secret, le cadavre mystérieusement enseveli ; aucun indice du crime. On croit, d’abord, à une disparition momentanée. Sophie-Dorothée, affolée d’inquiétude, exhale inlassablement sa plainte : « Konigsmarck, où est Konigsmarck ? »

Dans toutes les Cours de l’Europe où le secret du roman de Hanovre avait transpiré, on répète cette question.

A la Palatine, toujours si bien renseignée sur les intrigues allemandes, Louis XIV demande quotidiennement : « A-t-on retrouvé Konigsmarck ? » C’est à ce moment le sensationnel fait-divers européen. Par une nouvelle cruauté du sort, ce fut de la bouche du comte Platen que Sophie-Dorothée connut la vérité.

La Cour de Zell s’accorda avec celle de Hanovre pour éviter le scandale, faire la nuit sur la victime, préparer l’expiation de la jeune femme. Le cri suprême de Konigsmarck ne détourna d’elle aucune haine, aucune vengeance.

Reniée par tous, même par son père, séparée de ses enfans, Sophie-Dorothée, le divorce prononcé, fut reléguée dans le triste château d’Ahlden où, pendant trente-deux ans, elle attendit la mort en pleurant son roman si rapidement vécu.

Loin d’elle, ses enfans grandirent et se marièrent. George-Guillaume devint électeur de Hanovre et roi d’Angleterre. Elle était enterrée vive, sorte de moniale dans un château désolé. Mais cette moniale qui, amère dérision, était fort riche, — elle avait hérité la fortune de son père, — se parait encore, soignait sa beauté.