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« Que la vie m’est insupportable sans vous, et que vous estes cruel d’en douter !

«... Quoi, vous êtes parti sans que j’aye pu vous assurer moi-même que je vous adore et que je ne veux vivre que pour vous ; et vous estes parti avec des imaginations qui me désespèrent...

« Je vous escrirai au retour de Herrenhausen. Je meurs pour toi, mon cher enfant. »


De tristes pensées commencent d’assaillir Sophie-Dorothée qui, en l’absence de son amant, craint tout, d’abord le refroidissement de Konigsmarck, car il faut bien reconnaître qu’elle l’égale en jalousie. Puis, elle se sent environnée d’espions. Malgré les protestations de la Platen, elle la redoute ; l’avenir lui apparaît sombre :


« Mercredi 2.

«... Je ne me suis jamais trouvée si dévote qu’aujourd’hui. Je suis dégoustée du monde, toutes mes réflexions me tuent. Plus j’examine les manières que vous avez pour moi depuis un certain temps, plus je les trouve différentes de celles que vous avez eues autrefois. Est-il possible que je sois la seule du monde capable d’un attachement éternel ? Pourquoi n’estes-vous pas de mesme ? Mais je ne peux plus m’en flatter. J’ai eu un temps heureux où il ne m’entroit pas dans la teste que vostre tendresse peust finir. Ce temps charmant est passé, et je ne crains que trop que vous me ferez connoistre au premier jour qu’il n’est point d’éternelles amours. Souvenez-vous de tout ce que vous m’avez dit là-dessus, il y a quelques jours. Toutes mes pensées m’accablent, je voudrois pouvoir sortir du monde et n’y revenir jamais, et dans le chagrin où je suis, la mort me paroist agréable. Je n’ai plus la force de vous escrire, je n’en puis plus... j’ai le cœur plein d’une douleur mortelle. »


Son abattement devint tel que la Confidente crut devoir en informer Konigsmarck :


« Je vous prie, tâché de rassurer la Princesse, elle est extrêmeman en peure de votre fidellité et elle crain de vous perdre par une inconstance. Toute la journé elle ne fait autre chose que tanto elle pleure, tanto elle se plaint, et puis elle soupire. »