Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/873

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

crainte de vous importuner m’a retenue, car vous me mandez que je vous en parle tant. Je ne vous en romprai pas la teste aujourd’hui assurément, car je crains plus que la mort de fatiguer les personnes que j’ayme. Je m’estois flattée que vous me diriez le sujet du chagrin dont vostre lettre est toute remplie, et mesme vous ne deviez pas y manquer ; il faut qu’il ait esté bien violent pour que vostre valet de chambre vous a trouvé si changé et vous a donné de la reine de Hongrie. Ce qu’il y a de bon, c’est que les choses violentes ne durent pas ; il me semble que vostre tendresse est de mesme. Vous avez des momens de passion si extraordinaires que, si cela continuoit, rien ne seroit si aimable que vous, mais par malheur, ils finissent promptement et font place à des manières si piquantes et si désobligeantes que l’on a peine à croire que ce soit un mesme cœur qui produise tous ces différens sentimens. Je vous prie de ne point oublier de me faire savoir si je ne vous incommoderai point de venir à Hanovre la semaine prochaine.

« Adieu, il me semble que l’on escrit avec fort peu de plaisir quand ce n’est que pour se plaindre. à faut finir ; malgré toutes mes réflexions, il pourroit m’échapper que je vous aime, et je mourrois plutôt que de vous le dire aujourd’huy. »


La colère de la princesse apparaît peu menaçante, puisqu’elle songe à préparer un rapprochement.

Comment a-t-elle pu prendre tant d’émotion du récit que Stubenfol lui a fait d’un souper offert à la comtesse par Konigsmarck ? Voici, d’ailleurs, la défense de ce dernier :


« Samedi (24 juillet/3 août.)

«... J’ai bien de l’obligation à M. Stubenfol du beau rapport qu’il a fait de ce souper, jusqu’ici sa menterie (ne) m’a pas incommodé, mais à présent, je vois ce que bien des gens m’ont dit de lui : vous connoissez cet homme, et vous ne savez que trop que d’un pet il en fait un coup de tonnerre. Ce n’est pas étonnant qu’il a trouvé mon souper beau, il a mangé six perdreaux seul et bu une bouteille entière de vin de Serisse [1]. C’est le plus beau, le plus magnifique, et le plus galent festin du monde pour lui. Donnez-lui la même chose dans une écurie

  1. Xérès.