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« Mercredi 28 (juin).

« Si mes lettres vous font plaisir, soyez persuadé que le seul de ma vie est de recevoir des vostres ; j’en ai eu une aujourd’hui qui me réjouit et qui m’afflige...

« Il me semble que vous devez estre content de ma conduite et que je ne mérite en aucune manière vos reproches ; cependant je ne suis point fâchée et je les prends comme une marque de tendresse. J’aime que vous soyez sensible, et je serois au désespoir que vous le fussiez moins...

« Votre jalousie ne m’afflige point parce que je la trouve incommode, au contraire, je vous ai assuré mille fois que j’aimois vostre délicatesse ; mais, tant que vous aurez ces défiances, il est impossible que vous puissiez vous croire aimé autant que vous l’estes, et c’est ce qui me met au désespoir...

« Soyez persuadé que tous les malheurs du monde les plus terribles ne m’ébranleront jamais ; je tiens à vous par des liens trop forts et trop charmans pour pouvoir les rompre, et tous les momens de ma vie seront employés à vous aimer et à vous en donner mille marques, malgré tout ce qui voudra s’y opposer. »


En dépit des dangers courus à la dernière entrevue de Brockhausen, Sophie-Dorothée demande encore à son amant de la rejoindre à Zell. Ce n’est pas la crainte qui arrête Konigsmarck. « L’échafaud, — écrit-il, — seroit devant moi que je ne broncherois pas ; » mais d’insurmontables difficultés mettent obstacle à ce projet.


« Jeudi (29 juin).

«... Je suis au désespoir que vous vous chagriniez avec si peu de raison ; nous avons tant à en essuyer de tous costés que je vous conjure de ne vous en plus faire. Je ne saurois vous dire combien je m’ennuye, cela passe l’imagination, il m’est impossible de soutenir plus longtemps vostre absence et je ne pense qu’à vous aller trouver. Quand serai-je assez heureuse pour n’estre plus exposée à toutes ces douleurs, et quand pourrai-je gouster tranquillement le plaisir d’estre avec tout ce que j’aime ?

« Je ne demande de bonheur dans le monde que celui de passer ma vie avec vous, et je renonce de bon cœur à toute la terre ensemble. Vous me tenez lieu de tout, vous faites mes