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que je trouve mauvais ; il n’y a que la circonstance du jour de mon départ qui m’a désespérée, et où j’ai trouvé si peu de tendresse, que j’en ai pensé perdre l’esprit. Il me semble que vous prenez un air railleur sur ce que je vous ai mandé de ma conduite, mais plaisantez tant qu’il vous plaira, je vous défie d’y trouver à redise...

« Ne soyez point fasché de tout ce que je vous ai escrit. Si je vous aimois moins, je n’aurois pas tant de délicatesse. Je me veux du mal de tout ce que j’ai pensé contre vous, mais, mon Dieu, je vous aime à la folie et c’est ce qui me rend si sensible. Aymons-nous donc plus que jamais. Soyez content de moi, je la suis de vous ; je donnerois ma vie pour vous voir un moment, mais je n’ose m’en flatter, les suites pourroient en estre fâcheuses. »


L’Électeur de Hanovre et le duc de Zell résistaient à ce moment aux prétentions de la Suède et du Danemark qui, soutenus par l’Empereur, exigeaient la démolition des fortifications de Ratzebourg dans le duché de Saxe-Lauenbourg.

L’envoi de troupes hanovriennes semble imminent et Konigsmarck offre de partir avec elles. Aux inquiétudes de Sophie-Dorothée s’ajoutent les tourmens de l’absence, l’impatience du revoir.


« Mercredi (14/24 juin).

« Je commence à me flatter que vous ne partirez point. Le felt-maréchal m’a dit aujourd’hui qu’il vous avoit escrit de différer vostre voyage, et qu’il voyoit beaucoup d’apparence que vous ne pourrez le faire. Jugez de ma joye, elle est extrême, car tout mon bonheur consiste à vous voir. Je ne suis plus occupée qu’à penser à revenir ici le plus tost qu’il me sera possible, car, quoi qu’il m’en puisse arriver, je suis résolue à ne perdre pas, avec mon père et ma mère, un tems aussi précieux que celui d’estre avec vous.

« Je n’ai point encore vu Don Diego. On dit qu’il est de fort méchante humeur. J’en suis bien aise, car je suis piquée contre lui. Mon Dieu, est-il possible que je fusse assez heureuse pour passer l’esté avec vous ? Cette pensée me donne une joye dont je n’ay point esté capable depuis que je vous ai quitté. Je me suis si fort abandonnée à mon chagrin, que je n’ay pas mesme