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« Lundi.

« Voicy la quatriesme lettre que je vous escris et je n’en ai pas une de vous ; je ne veux pourtant pas vous accuser de négligence, mais il est bien fâcheux d’estre si longtems sans entendre parler de vous. La seule consolation que j’aye en vostre absence est de recevoir des marques de vostre souvenir, et quand cela me manque, il est aisé de juger que je passe fort mal mon tems. Je n’ai veu personne depuis vostre départ ; j’ai joué à l’oie hier au soir avec le Réformeur et deux femmes, où je me suis fort ennuyée, car la compagnie n’estoit pas réjouissante pour moi. Je vous avoue que je suis chagrine autant qu’on le peut estre de n’avoir point de vos lettres. Je fais tout ce que je peux pour croire qu’il n’y a point de vostre faute, et je crains cependant beaucoup que vos affaires vous ayent empêché de songer à moi. La poste est venue ce matin, il est quatre heures, et je n’ai rien reçu. Je n’ose plus me flatter de rien recevoir aujourd’hui, et j’en ai le mal de ratte. Estre six jours sans vous voir et sans avoir de vos nouvelles, c’est pour en mourir. Non, vous ne m’aimez point comme je vous aime et vous estes occupé de mille choses qui vous empêchent de songer à moi, au lieu que je ne suis occupée que de vous. Je ne dors point depuis quelques nuits. Je vous ay trop dans la teste, et d’abord que je veux m’endormir, vous me paroissez avec vos charmes et vous me réveillez si bien qu’il ne faut plus songer au sommeil. Vous me trouverez maigrie, et ce n’est pas le moyen de reprendre mon embonpoint que de ne vous point voir et de n’avoir point de vos lettres. J’y reviens souvent, mais la chose me tient au cœur. Je ne vous aime pas moins, cependant, et je sens bien que, quoique vous me fissiez mille maux, je vous aimerois toujours à la folie. C’est ma destinée d’estre à vous et je suis née pour vous aimer. Soyez-moi fidèle, je vous en conjure, tout mon repos en dépend. Pour moi, je la suis et la serai toute ma vie... »


« Louisbourg, jeudi 8e de juin 93.

« Je suis arrivée dans le plus triste estat du monde, et tous les tourmens que l’on se peut imaginer ne sont rien en comparaison de ce que j’ai souffert après vous avoir quitté. Je ne vous verrai donc plus, et je serai trois mois privée de tout ce qui fait le plaisir et le charme de ma vie...