Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/841

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en même temps la bonne nourriture et la mauvaise, il répondait que, dans le passé, ce double enseignement avait été pratiqué par des prêtres et des religieux qui sont considérés comme la gloire de l’Eglise et qu’il suffisait, pour conjurer le péril qui pourrait résulter de la confusion, de bien choisir les textes, d’employer des éditions expurgées et de parler des auteurs profanes avec un esprit chrétien. Il écrivit dans le même sens aux professeurs de ses petits séminaires et l’intrépidité dont il faisait preuve en défendant son système puisa dans ses convictions, des argumens dont la verve de Louis Veuillot n’eut pas raison.

Aux attaques inconsidérées du bouillant polémiste, il répondait toujours, et, lorsque celui-ci croyait l’accabler sous la brutalité de son langage souvent aussi spirituel que de mauvais goût, il protestait avec éloquence « contre l’effronterie de certains journalistes prétendus religieux qui se permettaient de faire la leçon à des évêques, des archevêques et des cardinaux. » Il demandait encore si, lorsqu’il importait de ne pas laisser déserter par la population scolaire les écoles ecclésiastiques, il était bien habile de priver ces écoles des études classiques et de créer ainsi à leurs élèves une infériorité d’instruction dont les ennemis de l’Eglise ne manqueraient pas de tirer parti. Pour se rendre compte du caractère violent de ces débats, il faut relire les journaux du temps qui servaient de tribune aux belligérans. Il est difficile de n’en pas conclure qu’en dépit de son talent, de sa fougue railleuse et irrespectueuse, Louis Veuillot ne fut pas le vainqueur de cette lutte. Comme il ne désarmait pas, l’évêque d’Orléans défendit à son clergé de recevoir l’Univers, et plusieurs membres de l’épiscopat suivirent son exemple. Louis Veuillot les engloba tous dans une accusation de gallicanisme. En réalité, c’était pour lui une défaite que proclama partout l’approbation donnée à Mgr Dupanloup par quarante-six évêques français.

Ceci se passait en 1854, deux ans après le coup d’Etat de Décembre que notre évêque n’avait pas approuvé, mais contre lequel il n’avait protesté que par son silence. Dans la même année, il était élu membre de l’Académie Française. Il ne manqua pas, dans son discours de réception, d’affirmer une fois de plus son goût pour l’humanisme et de défendre avec fermeté les écrits des classiques grecs et latins. Il le fit dans une page admirable