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Son père avait tellement soif de vie, qu’il lui eût été impossible d’accepter un horizon aussi limité et une existence aussi monotone. Il avait besoin d’errer par monts et par vaux. Il a lancé les modes internationales, inventé le « smoking, » établi le « pantalon à pli, » encouragé le « chapeau mou. » George V réserve toutes ses faveurs et toutes ses commandes aux industries britanniques. Édouard VII acceptait dans son intimité des naturalisés de fraîche date : sir Ernest Cassel, lord Sassoon. Il recherchait la compagnie et appréciait la conversation des financiers et des industriels cosmopolites. Il avait à Paris et à Vienne un cercle d’amis fidèles. George V, en dehors des liens de parenté et des obligations du protocole, n’admet à son foyer que quelques marins ou soldats, qu’il a connus jadis, au temps où il servait, lui aussi. Sa Majesté la Reine. Mais ces camaraderies n’exercent aucune influence sur son esprit.

Il se méfie des confidences et est rebelle aux conseils. Édouard VII sollicitait les unes et acceptait les autres. Il aimait trop la conversation pour ne pas se livrer un peu. Il était, parfois, victime de sa spontanéité charmeuse et de son esprit indulgent. Son fils ne pèche que par excès d’efforts et de scrupules. L’un fut une belle intelligence. L’autre restera une noble conscience. Le premier eut surtout de la facilité ; celui-ci a surtout de la volonté. L’un fut un causeur. Le second est un grand laborieux. Le père fut un gentilhomme au sens français du terme. Le fils est un gentleman, au sens britannique du mot.

Cette transformation n’eût point été pour déplaire à la reine Victoria. De tout son cœur de grand’mère, elle avait souscrit au jugement, que portait un de ses familiers, sur ce petit-fils préféré, dont elle affectait d’oublier les farces redoutables et de ne point entendre les jurons de matelot : « Franc, viril, le cœur chaud, doué d’une capacité plus que moyenne, simple dans ses goûts, affranchi de toute affectation égoïste, le Prince est toujours dirigé par un sincère désir de faire son devoir, qu’il s’agisse d’une chose grande ou petite, dans toute la mesure où il le peut. »


Il y aura demain quatre ans que George V a recueilli l’héritage d’Édouard VII. Les événemens politiques en ont singulièrement