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thèse et les légèretés du Palais-Royal. George V est trop marin pour ne point aimer le théâtre ; mais il lui faut un théâtre sain et simple, des comédies honnêtes ou des drames sanglans. Pour distraire l’empereur Guillaume, au mois de mai 1911, il fait jouer une pièce de Bulwer Lytton, l’Argent, une tragédie bourgeoise et sensible, qui date de 1840, et d’où la vertu et le vice sortent récompensés et flétris, dans la personne d’une amoureuse désintéressée et d’une coureuse de dots. Edouard VII était rompu à toutes les complexités de l’art musical. Une villégiature à Bayreuth ne l’eût point effrayé. George V recule devant un opéra wagnérien plus que devant une mer démontée ; mais les chefs-d’œuvre de Mendelssohn et de Gounod charment l’oreille et bercent les mélancolies du Roi marin. Il lui est arrivé de pêcher à la ligne : jamais le Roi diplomate n’aurait pu se plier à cette patience, à cette immobilité, à cette solitude.

Le fils a couru le globe et boudé l’Europe. Sept fois seulement [1], il lui est arrivé d’accepter l’hospitalité d’un palais continental. En revanche, il est allé à deux reprises dans l’Afrique Méridionale et en Australasie ; trois fois aux Indes et à Ceylan ; six au Canada. Ses biographes ont établi qu’il détient le record de la distance parcourue : six fois la circonférence du globe. Le père avait plus souvent utilisé sa berline que son yacht. Il aimait la vieille Europe. Il méprisait les terres neuves. Il s’exprimait en français comme un boulevardier et en allemand comme un Cobourg. Les beautés de la langue italienne ne lui étaient point inconnues et les plaisanteries de l’argot parisien lui étaient familières. George V, s’il lit l’allemand, ne le parle pas, et sa science du français reste celle d’un midshipman. Deux fois par an, en mars et en août, Edouard VII franchissait la Manche, s’installait à Biarritz et à Marienbad, rayonnant à travers le continent. Son fils fuit les villes d’eaux européennes, mais accepte l’hospitalité de l’aristocratie britannique. Les Devonshire, Derby, Rosebery ont été honorés d’une visite royale : elle a toujours été brève. George V ne se plaît qu’à son foyer. Il quitte « son bord » toujours à regret et par devoir.

  1. 1894, voyage en Russie ; 1898, enterrement de la reine de Danemark ; 1902 visite à Berlin ; 1904, séjour à Vienne ; 1906, mariage de la reine d’Espagne ; 1908 voyage en France et en Allemagne ; 1913, mariage de la fille de Guillaume II.