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le résultat d’une collaboration constante et d’un partage voulu. Les deux couronnes et les deux sceptres ne sont point une fiction traditionnelle, mais une réalité tangible. Le jour même où il prit, comme roi, la parole pour la première fois, George V l’a proclamé : « Je trouve un précieux encouragement, dans le fait que je sais que j’ai, dans ma chère femme, une collaboratrice quotidienne, dans chacun de mes efforts pour le bien de notre peuple. » Victoria souffrit toute sa vie, de ce que les juristes et les parlementaires lui aient interdit de prononcer, ex cathedra, le même aveu. Il éclate, du moins, à chaque page de sa correspondance.

Le goût et les habitudes des deux rois sont aussi dissemblables que leurs tempéramens et leurs formations. Et ces différences sont peut-être les plus caractéristiques de toutes.


Edouard VII resta, aussi longtemps qu’il le put, un fervent des chasses à courre. A ce sport ardent et fiévreux, aristocratique et élégant, George V préférait, tant que le protocole le lui permit, les flâneries solitaires, dans les taillis et sous les bois, un fusil sous le bras, en compagnie d’un chien fidèle, qui bat l’air de la queue et fouille les touffes du museau. Le père ne manquait pas une réunion de courses : fier de son écurie, il collectionnait jalousement primes et prix. Le fils ne se décida qu’avec peine à garder jockeys et entraîneurs. Aux hasards du turf, il préfère les prouesses du rugby ou les rudesses de la boxe. Chaque année il préside les matches, qui mettent aux prises les officiers de terre et de mer, les équipes nationales du Royaume-Uni. Hier encore, il patronnait une exhibition de base ball, le sport d’été des joueurs de foot-ball. Le 16 mars dernier, le colonel honoraire du 2e Life Guards a présidé un tournoi de boxe, dans lequel figurait, à côté des gloires régimentaires, le Bombardier Wells. De ces deux rois, l’un avait la passion des cartes. Passé maître dans la science du bridge, habitué à tenir lui-même sa comptabilité, il regretta longtemps les incertitudes du baccarat et les bluffs du poker. L’autre se refuse obstinément à tailler une banque et à tenir une carte. Il a la passion des lectures. Edouard VII avait celle du théâtre. Il encouragea les tournées françaises et parut souvent dans les coulisses.. Il acceptait sans sourciller la gravité des pièces à