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les amateurs français ou étrangers. Quelques hôtes, amis ou spécialistes, sont quelquefois même admis à jeter un coup d’œil dans les grandes galeries, non installées encore, mais où se trouvent déjà des œuvres remarquables. C’est à la suite d’une de ces visites, le 5 décembre 1889, qu’Eugène Müntz, surpris et ravi, écrit à Mme André : « La renommée m’avait bien appris l’existence d’une série d’ouvrages de premier ordre dans l’hôtel du boulevard Haussmann, mais, si j’avais pu deviner que vous étiez parvenue en si peu d’années à former un musée d’une telle richesse, je n’aurais pas eu la témérité d’écrire une histoire de l’art pendant la Renaissance sans vous avoir demandé au préalable la permission de jeter un coup d’œil sur ces trésors. »

A cette époque, les Musées Nationaux n’ayant pas même, pour leurs acquisitions, un budget total de 200 000 francs, vivotaient dans une pénurie misérable qui les rendait la risée des Musées étrangers et des marchands d’œuvres d’art. La caisse des Musées ne devait être fondée par l’Etat qu’en 1896, la Société des Amis du Louvre, organisée qu’en 1897. La plupart du temps, sauf intervention spontanée de quelque donateur généreux, les conservateurs ne pouvaient qu’assister tristement aux enchères des grandes ventes. Aussi étaient-ils heureux de s’associer aux entreprises des amateurs mieux pourvus qui, comme le Duc d’Aumale et M. et Mme André, se faisaient un devoir, pour ne leur point faire concurrence, de les informer de leurs projets. Courajod, le savant connaisseur, fréquemment consulté, applaudissait à des victoires qu’il était désolé de n’avoir pu disputer. A propos des Anges-Porte-Flambeau par Donatello, acquis à la vente Piot, où ils étaient présentés sous le nom de Luca della Robbia, Courajod s’écrie, encore tout chaud de la lutte : « Oui, oui, c’est bien vrai, les enfans de Luca della Robbia sont à nous ! Grâce à vous et à M. André, ces objets sont conservés à la France, à la portée de notre admiration... Ils n’ont pas été poussés par Tschudy, qui était là. Bode était absent. » — E. Müntz leur avait écrit, la veille même de la vente : « Il vous appartient de suppléer à l’insuffisance des crédits de notre grand Musée, et de conquérir pour notre pays les deux bronzes de Donatello [1]... »

  1. Nous devons la communication de ces correspondances à l’obligeance de M. E. Bertaux, conservateur du Musée, de MM. Diaquin, ancien secrétaire de Mme André, et Pierre Clamorgan, conservateurs adjoints, dont les recherches et la science actives ont permis à l’Institut de publier un catalogue-itinéraire du Musée, le jour même de son inauguration.