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allusion à la note de M. Fabre : il fallait que j’en eusse une contre eux ; je ne pouvais pas attendre le coup de poignard, j’étais dans le cas de légitime défense. — En conséquence, ayant sans doute appris par M. Monis que M. Fabre n’était pas un homme qu’il était impossible d’influencer et même d’intimider, quand toutefois on avait « la manière, » il l’a fait appeler pour lui arracher l’aveu que, lors de l’ancienne réunion de la Commission d’enquête, MM. Briand et Barthou lui avaient donné pour instruction de ne pas dire toute la vérité : et, pour avoir des témoins qui rédigeraient et signeraient un procès-verbal de l’entretien, il avait eu soin de cacher deux de ses secrétaires derrière un rideau. Un procès-verbal dressé dans de pareilles conditions aurait été méprisable à tous les points de vue. Il faut croire d’ailleurs qu’il n’a pas donné ce qu’en attendait M. Caillaux : en effet, il n’a pas été produit. Puisque M. Caillaux se croyait en état de légitime défense, un peu à la manière des Peaux-Rouges, il est vrai, que n’a-t-il répondu du tac au tac, du document au document ? Il s’en est abstenu, nous n’aurions rien su de la précaution qu’il avait prise, si MM. Briand et Barthou ne nous l’avaient pas contée. Peut-être a-t-il compris qu’il était allé un peu loin, car il a dit à la Commission que les personnes en faction derrière le rideau s’étaient trouvées là par hasard : bizarre hasard ! comme dit un personnage de comédie. L’explication est admirable et vraiment propre à inspirer confiance à ceux qui, ayant à causer avec M. Caillaux, se demanderont désormais si, par hasard, quelqu’un n’écoute pas derrière le rideau !

Concluons pour notre compte, en attendant que la Commission le fasse pour le sien : peut-être n’y mettra-t-elle pas la même netteté que nous. S’il a suivi, comme nous l’espérons, les détails de l’enquête, le pays sait désormais à quel degré de décomposition morale nous a fait tomber le gouvernement radical-socialiste qui pèse sur nous depuis quinze ans. Le coup de pistolet de Mme Caillaux a opéré comme l’étincelle électrique au milieu des nuages qu’elle précipite : à la lueur qu’il a projetée, on a aperçu bien des choses dont nous nous doutions, que nous savions, mais dont le pays ne s’était pas encore rendu compte avec la même certitude. Le hasard a voulu que le trait lumineux portât sur la magistrature, et il faut reconnaître que M. Barthou a dit autrefois une triste vérité lorsqu’il a affirmé qu’il y avait en elle quelque chose de gangrené. Gardons-nous pourtant de trop généraliser et, au surplus, livrés à eux-mêmes, et sous l’empire de leur seule conscience, MM. Fabre et Bidault de l’Isle sont des magistrats d’une