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d’enquête a une autre mission, qui est de savoir et de dire si la conscience de plusieurs magistrats n’a pas capitulé sous la pression d’hommes politiques, agissant dans l’intérêt d’un voleur. Et, sur ce point, la lumière est faite.

Comment raconter tout ce qui s’est déjà passé à la Commission ? Un volume n’y suffirait pas. De nombreuses dépositions ont été faites, dont les plus intéressantes ont été celles de MM. Briand et Barthou : il en résulte que ni M. Monis, ni M. Caillaux ne pouvaient ignorer l’existence de la note de M. Fabre, et que, lorsqu’ils affectaient de croire qu’elle n’existait pas, ils ne disaient pas la vérité, ou jouaient sur les mots. La morale des casuistes est aujourd’hui celle des hommes politiques. On cueillerait d’ailleurs toutes sortes de traits curieux et instructifs dans les dépositions des deux anciens présidens du Conseil. M. Barthou, par exemple, a raconté une conversation qu’il a eue avec M. Caillaux à un moment où ils s’entretenaient en toute confiance de l’intervention de M. Monis auprès de M. Fabre. — Pourquoi M. Monis, qui était alors ministre de l’Intérieur, et non pas M. Antoine Perrier, qui était garde des Sceaux ? — A cette question de M. Barthou, la réponse de M. Caillaux est des plus suggestives : — C’est, a-t-il dit, parce que M. Monis avait la manière ; M. Perrier ne l’avait pas. — Nous félicitons chaudement M. Perrier de n’avoir pas la manière. L’ignorance où on l’a laissé de ces manœuvres tortueuses est à son honneur. On avait l’impression qu’il ne s’y prêterait pas. Mais que voilà des procédés étranges ! M. Briand, devenu garde des Sceaux, a dit à la Commission qu’une des premières choses qu’il avait faites en arrivant à la Chancellerie, avait été d’interdire à ses subordonnés d’aller chez un autre ministre, même chez le président du Conseil, sans son autorisation ou sans sa présence. Combien il avait raison ! On voit, en effet, quelles libertés les ministres prenaient les uns à l’égard des autres pendant le ministère Monis et par le fait de M. Monis lui-même. Tantôt les ministres se montraient réciproquement une confiance aveugle, tantôt ils se défiaient les uns des autres et se cachaient des démarches qu’ils faisaient, celui-ci dans le département de celui-là. De ces deux abus, le premier ne fait pas contrepoids au second.

Mais, de toutes les scènes de mœurs politiques dont le secret a été dévoilé à la Commission, aucune n’égale celle qui se rapporte au piège tendu par M. Caillaux à M. le procureur général Fabre, pour se procurer ou essayer de se procurer une pièce contre MM. Briand et Barthou. — Ils avaient une arme contre moi, a-t-il dit, en faisant