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prononcer à son tour. Combien de temps cela demandera-t-il encore ? La lumière a pourtant été faite, pleine et entière, dès le premier jour, ou, si on veut, dès le second, et tout ce qui est venu ensuite, s’il n’a pas eu pour objet, a certainement eu pour effet de l’obscurcir. Heureusement cela, s’est trouvé difficile, tant a été vive, décisive, définitive, l’impression produite par le document rédigé par M. Fabre et lu par M. Barthou. Nous avons dit que M. Fabre n’était pas un héros, et lui-même l’a avoué, puisque, placé dans l’alternative de se montrer complaisant contre sa conscience ou de voir sa carrière brisée, il a mieux aimé le premier terme que le second ; mais il faut lui savoir gré de l’émotion qu’il en a ressentie et du repentir qu’il en a témoigné depuis. Il a subi une dure épreuve et s’il n’en sort pas tout à fait indemne, la faute principale en revient à ceux qui la lui ont infligée. Il a essayé de résister, il a été pris de peur et a cédé, en quoi il a eu grand tort sans doute, moins toutefois que le président de la chambre des appels, qui paraît avoir pris plus allègrement son aventure. Un procureur général est, en effet, dans de certaines limites, un fonctionnaire qui peut recevoir et exécuter des ordres : un président, non. Pourtant, M. Bidault de l’Isle s’est contenté de dire devant la Commission d’enquête qu’il avait été très ennuyé d’avoir à déranger les rôles qu’il avait établis, mais qu’il l’avait fait pour être agréable à M. Fabre, et que cela ne tirait pas à conséquence. Il a dit à la Commission que M. Fabre « vibrait » trop ; il a semblé que lui-même ne vibrait pas assez. Mais revenons au document de M. le procureur général : pas une ligne, pas un mot n’en a été infirmé par tout ce qui est venu ensuite et c’est là toute l’affaire. Est-il vrai que M. Monis, suggestionné par M. Caillaux, a exercé une pression sur M. Fabre ? M. Monis l’avait nié d’abord, il l’a avoué ensuite. Pour ce qui est de la manière dont cette pression s’est exercée, on peut en discuter tant qu’on voudra : il est du moins certain qu’elle a été assez forte pour être efficace. Il faut donc croire que M. Monis a été très énergique. Quel intérêt y avait-il ? Tout porte à croire qu’il n’en avait aucun, sinon celui de rendre service à M. Caillaux, sans doute à charge de revanche à l’occasion. C’est ainsi qu’on pratique aujourd’hui la solidarité ministérielle, à moins que, comme nous le verrons bientôt, on ne se tende les uns aux autres les pièges les plus odieux. Mais si on comprend à peu près pourquoi M. Monis a voulu rendre service à M. Caillaux, on comprend moins quel était, pour celui-ci, l’objet réel du service qu’il avait demandé. La Commission l’a naturellement interrogé sur ce point et, quoiqu’il ait donné