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instructives, mais absolument dénuées de sanction : comment s’étonner dès lors si elles n’aboutissent pas ? En conséquence, M. Jaurès a demandé à la Chambre de voter d’urgence une loi qui donnerait des pouvoirs Judiciaires aux commissions d’enquête parlementaires. Aussitôt dit, aussitôt fait : la Chambre n’y a pas réfléchi davantage, elle a donné à M. Jaurès tout ce qu’il demandait. Quel précédent dangereux ! Les pouvoirs d’un juge d’instruction vont jusqu’à lui permettre de perquisitionner partout où il lui convient de le faire et d’arrêter préventivement qui il veut. On a quelquefois trouvé ces pouvoirs exorbitans et ils ont paru tels en effet dans quelques circonstances, alors même qu’ils étaient exercés par des magistrats. Que serait-ce, s’ils l’étaient par une trentaine d’hommes politiques érigés en une sorte de Comité de salut public ? Quelle sécurité resterait aux citoyens ? La Chambre ne se l’est pas demandé. Elle subit des emballemens qui ne lui permettent pas de s’arrêter à ces menus détails. Mais il y a le Sénat, qui a plus de sang-froid et y regarde de plus près. Le Sénat a nommé une commission pour examiner la loi improvisée par la Chambre et M. Ribot en a été l’âme. Il a fait observer que la Commission d’enquête n’avait nullement besoin de tous les pouvoirs d’un juge d’instruction et qu’il serait très imprudent de les lui donner : en revanche, il fallait lui donner une autorité que le juge d’instruction n’a pas. C’est, croyons-nous, par suite d’une lacune dans nos lois que le faux témoignage devant le juge d’instruction n’est passible d’aucune peine : il ne l’est que devant le tribunal ou devant la cour d’assises. Si donc on avait attribué à la Commission d’enquête les pouvoirs du juge, on n’aurait rien fait pour assurer la sincérité des témoignages. Le Sénat, mieux avisé, s’est bien gardé de donner aux Commissions d’enquête les pouvoirs du juge, mais il a édicté les peines qu’encouraient les faux témoignages faits devant elles, et il y aurait toute utilité, selon nous, à appliquer les mêmes peines aux faux témoignages faits devant les juges d’instruction. La nouvelle loi votée par le Sénat a été rapportée à la Chambre qui l’a votée à son tour et qui est devenue définitive avant la fin des travaux de la Commission : au commencement d’une de ses dernières séances, M. Jaurès a pu déférer le serment aux nouveaux témoins.

Il est d’ailleurs naturel que le vote de cette loi ait été plus rapide que les travaux de la Commission d’enquête, car ils ont été lents : au moment où nous écrivons, les interrogatoires de témoins sont enfin terminés, mais il reste à conclure, ce qui n’ira sans doute pas sans tiraillemens dans des sens divers. Enfin la Chambre aura à se