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de caractère. Le rhume de cerveau, le bénin et incurable coryza, paraît être précisément, — bien des raisons l’indiquent qu’il serait trop long d’exposer ici, — une ancienne maladie qui, jadis fort redoutable, ravagea l’humanité.

Mais puisque les microbes sont plus que tous les autres organismes dociles à l’évolution, au milieu, rien n’empêcherait de les faire évoluer par sélection artificielle dans le sens que l’on voudrait, comme font les éleveurs anglais pour les animaux domestiques, mais bien plus rapidement. Le jour où on réalisera cette idée, — et l’atténuation pastorienne des virus est un pas dans cette voie, — on arrivera sans doute facilement à créer de nouvelles maladies aussi redoutables qu’on voudra, et dont les ravages seront localisés à volonté. A Dieu ne plaise, d’ailleurs, que cette possibilité théorique ne soit prise au pied de la lettre par quelque chercheur ! Mais il y a là une idée que nous suggèrent, presque sans coup de pouce Imaginatif, les notions les plus positives de la microbiologie, et qui pourra tenter les romanciers à la Wells. Nous la leur livrons.

Variables sans doute dans le temps, les maladies microbiennes le sont très certainement dans l’espace, ainsi que nous en avons donné des preuves. C’est ainsi que l’influence variable, sur les germes pathogènes, des milieux individuels, fait que l’ancienne idiosyncrasie morbide est une idée qui n’a guère perdu de sa justesse. Et sans aller jusqu’à dire : Il n’y a pas de maladies, il n’y a que des malades,... nous nous permettrons de le penser un peu.

En un mot, la spécificité des germes pathogènes doit cesser d’être un dogme au même titre que la spécificité des atomes chimiques. D’après les idées modernes, il y a dans un gramme de radium et même dans un gramme d’un élément chimique quelconque, une foule d’atomes presque semblables les uns aux autres, mais dont chacun cependant diffère un peu des autres. Il n’y a peut-être pas dans l’univers, — contrairement aux conceptions du chimisme classique, — deux masses d’un même poids d’un gaz donné (et a fortiori d’un solide ou d’un liquide), parfaitement identiques l’un à l’autre. Et pareillement il n’y a peut-être pas dans l’univers deux microbes parfaitement jumeaux, et il n’y a peut-être jamais eu deux hommes qui aient souffert de la même maladie. Les phénomènes sont infiniment complexes et différenciés, et c’est seulement la grossièreté de nos sens et de nos moyens d’investigation qui, par une heureuse conséquence de notre infirmité, nous permet de les classer en groupes à peu près homogènes. On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve,