Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/705

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

causent une mortalité importante, surtout, pour ne parler que de la France, dans certaines régions comme la Bretagne. Elle est un des fléaux les plus redoutés des armées en campagne, et dans les guerres modernes elle a sans doute tué plus d’hommes que les armes à feu. Les microbes qui la produisent ont été découverts, caractérisés et étudiés par divers savans, notamment MM. Chantemesse et Widal, le Japonais Shiga, Flexner, Dopter, qui à l’Institut Pasteur dirige les laboratoires affectés à la dysenterie, d’autres encore. En injectant aux animaux les cultures de ces microbes, on a préparé plusieurs sortes de sérums à la fois antimicrobiens et antitoxiques (car les ravages de la dysenterie sont dus au microbe lui-même et aussi, à un moindre degré, à ses produits toxiques) qui donnent de bons résultats. Ces sérums ont permis d’abaisser dans des proportions notables la mortalité par la dysenterie, et d’en activer généralement la guérison. Ils sont aussi préventifs, mais l’immunité qu’ils confèrent ne dure que quelques jours.

J’ai dit à dessein : les microbes de la dysenterie, car il est prouvé que cette maladie n’est pas produite toujours par le bacille Shiga, mais l’est quelquefois par d’autres sortes de bactérie morphologiquement un peu différentes de lui, quoique parentes. De même que le choléra et bien d’autres maladies, il semble que la dysenterie épidémique puisse être provoquée par des bacilles dont certains caractères varient suivant les régions où règne la maladie. M. Ohno a étudié 74 variétés de bacilles dysentériques.

Ceci nous ouvre des horizons d’un très grand intérêt philosophique, et que déjà les caractères protéiformes des bacilles tuberculeux examinés par nous, dans une chronique récente, auraient pu nous faire entrevoir. Puisque les microbes pathogènes ont, comme nous l’avons vu, des facultés adaptatives extraordinaires, puisque les moindres variations de milieu suffisent à les faire évoluer et à les différencier en très peu de temps, rien ne nous autorise à penser que les maladies virulentes restent identiques à elles-mêmes dans le temps. Ce que nous appelons, aujourd’hui, tuberculose, syphilis, n’est sans doute pas absolument pareil à ce qu’étaient, dans un même pays, ces maladies il y a quelques siècles, ou seulement quelques années. Car, même si le milieu humain où évoluent les microorganismes pathogènes n’évolue qu’avec une infinie lenteur, à côté d’eux, les modifications qu’eux-mêmes apportent dans ce milieu, suffisent sans doute à les faire évoluer, et on s’explique ainsi que d’anciennes maladies, jadis très virulentes et très répandues, aient disparu ou aient changé