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de Rabelais, puis à Mme de Sévigne, à La Fontaine, à Fénelon et à Saint-Simon ; puis, en marge des proclamations du général Bonaparte, il composa le journal de Mme Clélie-Éponine Dupont. Le dernier recueil des « Marges, » — dernier, quant à présent, — la Vieillesse d’Hélène, recommençant tout le chemin, le fait tout au long, part de l’Odyssée encore, n’oublie pas Hérodote ni Ovide, ce Parnassien ; salue gentiment Guillaume au Court-nez et Joinville, risque un détour capricieux qui le conduit auprès de Ribadeneira et s’attarde plus volontiers dans la compagnie éprouvée de Corneille, de Molière, de Racine, de La Fontaine encore et de Bossuet, de Perrault, de Gil Blas, de Manon Lescaut, de la Nouvelle Héloïse, et même de M. Renan. C’est à peu près tout le chemin qu’a fait l’âme française depuis ses primes origines. Beau voyage et saint pèlerinage ou plus familièrement, si l’on veut, procession de nos enfances : et, à chacun des reposoirs, notre guide apporte un bouquet fraîchement coupé.

Les contes du dernier recueil sont plus rapides que les précédens. Ils n’ont pas plus de huit ou dix pages. Les incidens ne sont pas moins nombreux ; mais le conteur va plus vite. Il est possible qu’on regrette la manière un peu nonchalante de la Sirène ; oui, nonchalante, et avec tant de grâce. Le conteur ne se dépêchait pas du tout ; on eût dit que plutôt le conteur alentissait l’allure de ses phrases, n’ayant nulle hâte. Il a quelque hâte, maintenant. Et il a remplacé une élégance par une autre. Maintenant, c’est la vivacité de l’anecdote qui nous enchante : et heureux l’écrivain qui, changeant de manière, a deux fois enchanté son lecteur ! Les contes de la Vieillesse d’Hélène sont arrangés à la façon de comédies. Il y a des coups de théâtre, et qu’il faut amener prestement. Il y a des retournemens de la situation, qui valent pas leur promptitude. Et il y a des dénouemens, qui valent par leur soudaineté.

Depuis cinquante ans qu’elle est la belle Hélène, la fille de Léda et du Cygne souffre d’une malchance : on l’aime, — ah ! oui, on l’aime ; Thésée l’enleva quand elle était encore une petite fille ; bientôt après, Ménélas l’épousa ; et Paris, on n’ignore pas qu’il sut la convaincre ; avec moins de beauté, mais avec tant de malice, Ulysse fut peut-être son amant ; et Hector, on se demande si, en faveur d’elle, il ne négligea pas Andromaque aux bras blancs ; est-ce tout ? on n’ose pas le dire ; les Argiens et les Phrygiens l’adoraient également. — On l’aime ; et, voici la malchance, elle n’aime pas. Elle est flattée de tout l’amour qu’on lui prodigue ; mais elle a « déchaîné les plus furieuses passions sans être elle-même grandement émue. Vers la cinquantaine,