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REVUE LITTÉRAIRE

LES CONTES DE M. JULES LEMAITRE [1]

Inveni portum ; ces deux mots ont un son mélancolique et doux. Ils éveillent une pensée de sécurité un peu tardive et une image de voiles qui, dans la lumière du soir, regagnent leur abri. Contens après l’inquiétude et, si aimable que soit la paix enfin trouvée, encore tremblans de quelque regret, ces deux mots de sagesse, M. Jules Lemaître les a inscrits au revers de ses belles reliures, comme sa devise et comme son remerciement. Ainsi, le port ou le refuge est auprès des vieux livres, auprès du rêve ancien des lettrés. Quelle réponse à nos velléités turbulentes !...

Une imprudente jeunesse croit inaugurer la vie et l’inventer, pour ainsi dire. Et puis elle arrive à la tranquillité, plus ou moins vite. Avant cela, on l’a vue intrépide et, parfois, désagréablement. La remarque de La Bruyère l’importunait, selon laquelle tout est dit et l’on vient trop tard. Elle ne consentait pas non plus à écrire, suivant le conseil de Chénier, sur ses pensers qu’elle jugeait nouveaux, des vers antiques. Il lui fallait des merveilles inopinées ; elle ne craignait pas de combiner une syntaxe d’aventure et de fabriquer des mots. Elle voulait un vocabulaire tout neuf, comme elle, et des tours que n’eût pris jusqu’alors nulle méditation. C’est exactement la barbarie ; les adolescens y retournent, avec innocence, pour s’émanciper. On se figure que les

  1. La vieillesse d’Hélène (Calmann-Lévy, éditeur). Du même auteur, Myrrha vierge et martyre (chez Lecène-Oudin) ; Sérénus, histoire d’un martyr ; contes d’autrefois et d’aujourd’hui (chez Lemerre) ; En marge des vieux livres, deux séries (à la Société française d’imprimerie et de librairie).