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pratiques dans cette école, insuffisance signalée par l’honorable rapporteur, ne détourne pas les élèves et ne nuit pas au recrutement. La question des programmes et le caractère plus ou moins pratique de l’enseignement n’ont rien à voir avec les facilités du recrutement. C’est l’évidence même.

Les cours professés dans les Ecoles nationales conviennent d’ailleurs si bien à de futurs agriculteurs, chefs de grandes exploitations, que la plupart des jeunes ingénieurs embrassent la carrière agricole. Plus des deux tiers des élèves qui ont conquis leur diplôme deviennent des praticiens.

Les raisons qui expliquent la faiblesse numérique des candidats et des élèves de l’enseignement supérieur sont d’ordre économique et social. C’est cela qu’il faut comprendre, et c’est cela aussi que nous allons chercher à montrer.

Remarquons-le tout d’abord, les candidats aux écoles supérieures d’agriculture appartiennent, et ne peuvent manquer d’appartenir, en grande majorité, à la bourgeoisie. Assurément depuis quelque vingt ans, les hommes éclairés et instruits ont mieux compris l’intérêt que présente l’industrie agricole. Cette intelligente sympathie pour les travaux des champs et la vie rurale n’est pas seulement la conséquence d’un entraînement passager et l’expression d’une « sensibilité » frivole. Cavour avait raison de dire, il y a plus de cinquante ans ; « Dans les classes élevées, l’attention des hommes éminens s’est portée vers l’agriculture pratique ; le goût des travaux champêtres s’est répandu de plus en plus, et on a vu s’augmenter le nombre des personnes qui s’en occupent exclusivement, ou tout au moins qui y trouvent une sorte de délassement de leurs autres travaux. Il est facile de suivre ce mouvement dans toutes les contrées de l’Europe. Il a été, sinon provoqué, au moins favorisé par les crises politiques si fréquentes depuis un demi-siècle et qui arrachent tant d’existences à l’activité absorbante de la vie publique pour les ramener aux modestes soins de la vie privée.

« L’agriculture a été le refuge de tous les partis vaincus, et ainsi chaque nouvelle révolution augmente le nombre de ceux qui consacrent à la culture de la terre leur intelligence et leur capital [1]... »

Ces réflexions sont justes et on les croirait faites hier. Mais

  1. Lettres inédites du comte Cavour, Turin, 1883