Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/677

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que le chef d’exploitation possède ce qui ne peut s’acquérir que par une longue habitude, c’est-à-dire l’adresse nécessaire pour devenir un habile laboureur, un adroit charretier, un faucheur ou un semeur distingué. Dans les régions où l’agriculture a le caractère d’une industrie, on trouve la preuve de cette vérité. Il est bien peu de fermiers qui soient en état de rivaliser avec leurs valets dans la conduite de la charrue ou dans le chargement d’une voiture de gerbes, et l’on n’en trouverait aucun parmi eux qui ait acquis l’habileté nécessaire pour exécuter de ses mains, même passablement, toutes les opérations agricoles. Ils savent bien d’ailleurs qu’ils ont mieux à faire qu’à se livrer à des travaux de cette espèce. Mais il est, en revanche, un autre genre de « pratique » que possèdent généralement les fermiers et qui est, en effet, celle du chef d’exploitation : celle-là n’a pas pour objet l’exercice des muscles, mais elle se fonde sur certaines facultés qui se développent par l’observation personnelle des faits. C’est ce qu’on peut nommer la pratique intellectuelle et c’est elle que l’on enseigne précisément dans une école supérieure. Quant à la pratique de l’administration et de la direction financière de l’entreprise, il est clair que nul professeur ne saurait l’enseigner. Une expérience personnelle est nécessaire.

Voilà, croyons-nous, ce que le rapporteur du projet de loi aurait pu répondre aux adversaires de l’enseignement supérieur, adversaires que les directeurs de nos écoles ont toujours rencontrés et combattus depuis près d’un siècle.

Nous regrettons aussi que l’honorable rapporteur n’ait pas mis en lumière le rôle que doivent jouer les écoles supérieures à propos des recherches scientifiques. L’intérêt et la portée de cette tâche spéciale ont une importance sans égale.

Le professeur n’est pas seulement chargé de donner un enseignement oral, d’apprendre aux autres ce qu’il a lui-même appris de ses maîtres, de réciter en quelque sorte une leçon, toujours la même, leçon morne de choses mortes. On n’enseigne bien, c’est-à-dire on n’exprime de soi-même et l’on ne transmet aux autres en paroles animées, comme l’a dit un jour Albert Sorel, que les pensées directement recueillies de la vie, les choses vues et éprouvées, les préceptes tirés de l’expérience des faits. C’est par la recherche personnelle, par l’observation sans cesse renouvelée au contact des réalités, sur tous les points du territoire, que le professeur acquiert la véritable maîtrise en