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« Je défie toute la terre ensemble d’aimer au point que je le fais. Il est vrai aussi que vous le méritez plus que personne du monde. Aimons-nous toujours, je vous en conjure, et que rien ne soit capable de nous désunir. Je me trouve si bien de ma passion que je veux la conserver tout le reste de ma vie. Faites de même, et il ne manquera rien à notre bonheur. Aimons-nous encore une fois en dépit de ceux qui y veulent mettre obstacle, et qu’ils en puissent crever de chagrin.

« Je vous réponds d’une constance à toute épreuve et d’une tendresse qui ne finira qu’avec mes jours.

«... Plust à Dieu d’estre morte tout le temps qu’il faut passer sans vous voir, et ressusciter pour vous revoir ; ce seroit la chose du monde la plus charmante. Que cela m’épargneroit de méchans momens ! Mais aussi je n’aurois pas la joie d’avoir de vos lettres, et c’en est une bien sensible, surtout quand elles sont aussi tendres que celle que j’ai eue avant celle-ci ; j’en suis encore touchée jusqu’au fond de l’âme ; il y a mille endroits charmans qui vont au cœur ; je ne saurois la relire sans des rcdoublemens de tendresse qui me mettent hors de moy... Vous faites tant pour moy, vous me sacrifiez vostre fortune, vos plaisirs, vous prévenez tous mes désirs ; que peux-je souhaiter sur vostre sujet que la continuation de ces sentimens qui font tout le charme de ma vie et de me voir en estat d’en jouir ? Je ne demande de bonheur au ciel que celui-là et je lui abandonne de bon cœur tout le reste... »


Konigsmarck répond en mêlant ses protestations à des récits où Ernest-Auguste ne tient pas les plus brillans rôles : après les durs travaux de la guerre, ses compagnons vivent dans la joie. Tout en se défendant de participer à leurs plaisirs, il fait ces aveux qui permettent d’entrevoir quelle était, sous leur vernis d’emprunt, la grossièreté foncière des cours allemandes.


Deinse, le 6/16 septembre.

… « Le duc de Richemond [1] se divertit à se soûler et invente de nouveaux juremens ; l’autre jour, je dînai avec lui chez le comte d’Egmond. Il avoit inventé un nouveau jurement abominable qui est : « Ventre Dieu, farci d’apôtres. » Voilà le

  1. Fils naturel de Charles II, roi d’Angleterre, et de Louise de Kéroualle, duchesse de Portsmouth.