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pourront me faire changer, m’est injurieuse, et vous devez estre en repos sur tout ce qui regarde ma tendresse et ma fidélité. Je vous écris au hasard, mais il m’est impossible d’estre plus longtems sans vous dire que je vous aime à la folie et que l’absence ne fait qu’augmenter ma passion. Je ne vous escris point ce que j’ai fait tous les jours ; j’appréhende que ma lettre ne se perde et que les différens lieux que je suis obligée de nommer ne fassent tout descouvrir. Je vous les envoyerai quand je serai arrivée. Il ne se passe rien qui mérite d’estre dit et je n’ai fait que boire, manger et dormir depuis le voyage. Je songe à vous depuis le matin jusqu’au soir, c’est mon unique occupation et la seule qui me soit agréable. Je suis charmée quand je pense que je m’approche de vous. S’il estoit possible que je peusse vous voir, quelle joie pour moi ! Je me fais mille chimères là-dessus qui ne laissent pas de me faire plaisir, quoique j’en voye l’impossibilité. On m’a dit que vous perdez vostre argent, j’en suis fâchée, mais on ne peut estre également heureux partout, et il faut que l’amour vous console du jeu.

« J’espère que vous serez de retour en mesme tems que moi. Je vous attends avec une impatience qui n’appartient qu’à ma tendresse, et si je vous tiens une fois, vous aurez bien de la peine à m’eschapper, car, assurément, j’aimerois autant estre morte que vivre sans vous voir : Sol per te, seiilo l’alma ferita ; tu sei la mia vita, tu solo il mio ben. Voilà ce que je sens, et comme je suis pour vous. Soyez de mesme, et souvenez-vous toujours que j’ai pour vous la plus tendre passion du monde et le plus véritable attachement.

« Adieu, je suis toute à vous, et j’y serai toute ma vie, et tant que vous voudrez de moi. »


Konigsmarck, sain et sauf, devient encore plus cher à raison des dangers courus. La cour de Hanovre est consternée du désastre de Steinkerque, mais le cœur de Dorothée chante l’alléluia. Dès ce moment, se dessine en son esprit le plan d’une réunion définitive à son amant.

De Wiesbaden, où elle se trouve avec sa mère et la duchesse Sophie qui la surveillent étroitement, elle raconte à Konigsmarck les ennuis de sa vie présente et ses espoirs pour sa vie future :