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même vous ne recevriez pas de mes nouvelles, vous devez me assez connoitre pour ne me point l’attribuer et pour estre persuadé que la faute ne vient pas de moi. Est-il possible que vous puissiez croire tout ce que vous me mandez, et avez-vous assez méchante opinion de moi pour me croire capable de ne songer plus à vous ?

« C’est vous seul qui m’occupez uniquement, et tout le reste du monde m’importe si peu que je n’y fais pas la moindre réflexion.

« J’espère que je serai présentement pleinement justifiée auprès de vous. Je vous ai escrit avec toute l’exactitude possible, et si je l’avois peu faire plus souvent, je l’aurois fait avec un vray plaisir, car je n’en ay aucun dans votre absence que celui de vous faire souvenir de moi et de vous assurer de ma tendresse et de ma fidélité. Ce lieu est si éloigné de tout commerce, que cela me retarde beaucoup la joye d’avoir de vos lettres, et je crains, pour la même raison, que vous ne receviez les miennes que fort irrégulièrement. Les eaux sont si grandes que l’on ne peut passer, de sorte que l’on demeurera encore toute la semaine. Je passe les jours entiers chez le Pédagogue qui ne parle que du danger qu’il y a de s’abandonner à son penchant. Je dis amen à tout et je suis le mieux du monde avec elle.

« J’ai mille inquiétudes sur vostre sujet. Le bonhomme Chauvet me dit hier que, selon toutes les apparences, l’on donneroit un combat. Vous connoissez ma passion, jugez vous mesme dans quel état je suis quand je pense que la seule personne du monde pour qui je veux vivre va estre exposée à mille dangers. Si vous m’aimez, conservez vous ; j’en mourrai s’il vous arrive le moindre accident.

« Je mène la plus triste vie que vous puissiez vous figurer.


J’ai beau changer de lieu, mon soin est inutile,
Je porte partout mon amour,
Et je n’en suis pas plus tranquille,
Dans ce paisible séjour.


« Je ne vois point de fin à mon ennuy et le temps que j’ay encore à passer sans vous me paroît une éternité, mais aussi, quelle joye quand je vous reverrai ! Il me sera impossible de modérer mon transport et tout le monde s’apercevra aisément que je vous adore. Il n’importe, vous le méritez et je ne saurois