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de tout ce que je peux vous en dire et je me trouverai fort heureuse si la vostre l’esgale. Je ne vous prescherai pas de m’estre fidelle, il est inutile de vous dire que j’en mourrai si vous ne l’estes point. Je vous l’ai dit mille fois, et tout le repos de ma vie en dépend. Vous en trouverez de plus aimable, mais jamais de si tendre, et vos volontés me seront toujours des loix. Mais pourquoi changeriez-vous ? Vous estes aimé à l’idolâtrie et vous avez le cœur trop bien fait. Adieu, mon cher enfant, soyez persuadé que vous serez éternellement aimé, que je ne penserai qu’à vous le témoigner, et que tous les malheurs du monde ne seront capables de m’empêcher. »


Les lettres suivantes sont datées de Brockhausen, où Sophie-Dorothée s’était retirée près de sa famille, pendant l’absence de son mari.

Hélas ! la tendresse filiale a pâli devant l’amour. Le duc et la duchesse de Zell n’ont de leur fille que sa présence, son cœur est ailleurs. Avec la cynique ingénuité des amoureux, elle avoue à Konigsmarck ses ruses, ses pièges pour endormir la perspicacité de ses parens.


Brockhausen, 22 juin.

« Le seul plaisir auquel je suis sensible présentement est celui de vous assurer de ma fidélité et de ma tendresse. Elle augmente tous les jours et je me trouve heureuse d’estre dans cette solitude, puisque j’ai tout loisir de penser à vous, vous m’occupez uniquement. Le Pédagogue et le Grondeur me parlent bien souvent sans que je les écoute, et mon cœur et mes pensées sont toujours auprès de vous, et je n’ay pas eu un moment de joye depuis vostre départ ; et quand je songe que je serai encore quatre ou cinq mois sans vous voir, je tombe dans une mélancolie que je ne saurois cacher. Mille tristes réflexions m’accablent, je crains que l’on ne nous sépare et que l’on ne mette obstacle à mon bonheur. Je me vois sur le bord du précipice. Enfin, si vous saviez l’estat où je suis, je vous ferois pitié. Mais se m’ami, cor mio, non bramo altro ben. Ce sont mes sentimens et je mourrai avec eux. Vous devez estre tranquille sur ma conduite, que rien ne trouble vostre repos. A peine ay je esté habillée qu’il m’a fallu disner, ensuite j’ai esté chez le Pédagogue quelque tems... Le Grondeur est venu me