Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/640

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les démons, les vieilles femmes qui sont pires que les démons. »

Enfin Konigsmarck part faire campagne en Flandre. Du camp et de différentes étapes, il écrit à la princesse. Elle lui répond de Hanovre et de Brockhausen. C’est à partir de ce moment que ses lettres ont été conservées.

Les deux premières sont écrites dans les larmes de la séparation :


« J’ai passé le reste de la nuit sans dormir et tout le jour à parler de vous et à pleurer votre absence. Jamais jour ne m’a paru si long et je ne sais comment je pourray m’accoustumer à ne vous point voir. La Gouvernante vient de me donner vostre lettre, je l’ay reçue avec toute la joie dont je puis estre capable. Soyez persuadé que je feray au delà de ce que je vous ay promis et que je ne perdray aucune occasion de vous bien persuader ma passion et le sincère attachement que j’ay pour vous ; si je pouvois m’enfermer pendant votre absence et ne voir qui que ce soit au monde, je le ferois avec un vray plaisir, car tout me desplait et tout m’ennuye quand je ne vous vois point. Si quelque chose peut me faire supporter vostre absence sans mourir de douleur, c’est que j’espère vous faire voir par ma conduite que l’on n’a jamais tant aimé que je vous aime et que rien n’esgale ma fidélité : elle est à toute espreuve, et quoy qu’il puisse m’arriver, rien au monde ne sera capable de me détacher de tout ce que j’adore. Oui, mon cher enfant, ma passion ne peut finir qu’avec ma vie.

« J’ai esté si changée et si abattue aujourd’huy que le Réformeur m’en a plainte et m’a dit qu’il voyoit bien que je me trouvois mal et que j’y devois prendre garde. Il a raison, mais mon mal ne vient que d’aymer et je n’en veux jamais guérir. Je n’ay veu personne qui mérite que je vous en parle, j’ay esté un moment chez la Romaine et je suis venue chez moi aussitost que je l’ay peu pour avoir le plaisir de parler de vous...

« Il est huit heures, je vas faire ma cour ; grand Dieu, que je feray un sot personnage ! Je me retireray dès que j’auray soupé pour avoir le plaisir de lire vos lettres, c’est le seul que j’auray en votre absence. Adieu, mon adorable enfant, il n’y a que la mort qui puisse me détacher de vous, car toutes les puissances humaines n’y réussiront jamais... »