Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/630

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seulement leur saveur originale, elles leur ôtent aussi, en quelque sorte, leur caractère de document.

Ce n’est pas, en effet, sans surprise que, à travers les fantaisies de l’orthographe et le sans-façon soudard, on voit jaillir souvent la pure forme du grand siècle. Ce contraste, très saisissant dans la correspondance de Konigsmarck, la rend bien représentative de l’époque et du milieu où il vécut.

Konigsmarck ne manque ni d’esprit, ni, quoi qu’on en ait dit, de sensibilité ; les choses et les gens sont, par lui, décrits à l’emporte-pièce ; la politique et la guerre ne le laissent pas indifférent : elles lui suggèrent d’originales boutades et de piquans tableaux.

A l’exemple de Sophie-Dorothée, il dédaigne de déguiser sous de spécieuses apparences sentimentales la vraie nature de sa passion. Leur roman est précis et ardent.

Pour évoquer les deux amans dans leur pleine lumière et pénétrer leur mentalité, il les faut replacer dans leur cadre, dans leur atmosphère, rappeler les événemens qui modelèrent leurs caractères, déterminèrent leur penchant et décidèrent de leur vie.


Ce fut aussi un roman qui préluda à la naissance de Sophie-Dorothée.

L’apparition charmante, à Bréda, chez la princesse de Tarente, d’Éléonore d’Olbreuse, réfugiée protestante et fille de bonne race, convertit subitement à la grâce du mariage un endurci célibataire. Il n’était rien moins que Georges-Guillaume de Brunswick, celui-là même qui, pour promener librement à travers l’Europe son humeur indépendante, avait cédé à son frère cadet, l’évêque d’Osnabruck, ses droits d’aînesse et, par-dessus le marché, — car c’en était bien un, — sa fiancée Sophie Stuart, fille du roi de Bohême et petite-fille de Jacques Ier, dont la dot était l’éventualité d’une couronne.

A travers mille obstacles, le mariage se fit ; mais avec des restrictions telles qu’Eléonore d’Olbreuse, épouse à peine morganatique, occupant à la cour de Hanovre, sous le nom de Mme d’Harbourg, une position subalterne, était qualifiée, par sa parenté dédaigneuse, « le beau morceau de chair » ou « la Madame » du prince Guillaume.

« La Madame » devait faire son chemin. Sa souple intelligence,