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En marge des événemens politiques qui sont l’Histoire, et où la princesse ne joua qu’un rôle passif, la figure de la femme que fut Sophie-Dorothée se dessine en caractères de flammes qui, pour être tracés depuis deux siècles, n’ont rien perdu de leur intensité.

Sa correspondance avec le beau Konigsmarck ne contient que l’expression de son amour ; elle marche dans son rayonnement, éblouie et enivrée ; que l’Europe entière soit en guerre, que la femme de Georges-Louis soit saluée Princesse Electorale, qu’une des premières couronnes du monde semble l’attendre, que lui importe ? Elle ne voit que Konigsmarck, n’attend que lui, n’espère qu’en lui : « Je ne suis occupée que de ma passion, écrit-elle à son amant, c’est ma destinée d’être à vous, et je suis née pour vous aimer. »

Voilà pourquoi il ne faut chercher dans ses lettres ni aperçus sur les événemens, ni observations ingénieuses ou profondes sur les acteurs qui s’agitent autour d’elle.

Un monocorde cantique d’amour chanté sur un parfait instrument, telle est la correspondance de Sophie-Dorothée avec Konigsmarck.

L’amour humain est éternellement semblable à lui-même ; seule, son expression varie.

Sophie-Dorothée s’est servie de la majestueuse langue du XVIIe siècle, qui semble ne devoir se plier qu’à des sentimens ordonnés et mesurés ; or, ce n’est ni la mesure, ni la convenance qui caractérisent l’impétueuse princesse.

L’instrument, cependant, obéit et a étrangement vibré sous ses fièvres et ses emportemens. C’est là que réside l’originalité d’une correspondance qui forme un curieux, peut-être l’unique monument de la littérature amoureuse du grand siècle.

Konigsmarck, l’objet de ces transports, y répondait également en français, mais en quel français ? Celui qu’il avait retenu aux hasards de la vie des camps et qu’il n’écrivait que phonétiquement.

Outre ce motif, il en est un autre, non moins grave, qui aurait suffi seul à rendre quelques-unes de ses lettres impubliables dans leur entier : la crudité de certains mots et de certaines images. Quelque nécessaires qu’elles soient, il faut regretter ces mutilations, car elles n’enlèvent pas à ces lettres